QUÉ DUCASSE.
Texte récité lors
d’une réunion des « Anciens d’Arquennes », en 1994, réunion organisée
pendant plusieurs années par Jacques Dechief.
Avant la guerre,
nous parlions couramment le Wallon. Nous étions, en quelque sorte, bilingues.
Nos aînés, nos grands parents, faisaient tout leur possible pour nous parler en
français et nous avions des recommandations du genre : « faite bie
attention in ralant em’ petit, n’ pesteller nie dins les flattes et r’clapper
bie l’baille pour que l’verra n’pette ni voye".
Si maintenant nous
parlons tous le français, nous devons reconnaître qu’une histoire racontée en
wallon a plus de saveur. Nous allons essayer de nous rappeler ce qu’était une
kermesse avant la guerre.
Al ducasse, il avou d’l’amusemin d’su toutes les
places.
D’su l’place
communale, on teindou in fil intrêt l’maison du «Tchaufourni » et «
Treutens ». On y suspeindou in sac aveu enn bouteill qui fallou desquetter
en eyant les yes muchis. On criou au volontair « pu à gauche, pu à
droite » et ça vos donnou in embiance du tonnerre.
On orgnnisou étou enn
course aveu des broëttes aveu enn boule dessus.
D’su l’place Mathy,
il avou in bia carroussel, aveu des ch’vaux
qui gallopen’te. Qué bia
carroussel, aveu des glaces qui r’flettentt les lumières. Di m’vois co, aveu
mes courtes maronnes, d’su l’chèveau qui montou et qui desquindou au son d’enn viole qui d’jouou pu souvint
qu’as tour « el moulin del forêt noire ».
Al fontaine, au
« Quetquet », il avout in d’jeu d’boules. Y fallou abatte des quilles
aveu des boules aussi grosses què nos tiess.
Si vo monti el’rue
de Chévremont, vos rincontri les tireux à l’arc. Y aven’te in p’tit t’chapia in
v’lour noir, des manchettes, y s’tin’te fier dè moustrer el petit mouchon qui
v’nenne d’abattre. El perche vertical s’ trouvou d’su l’pré
« Jeanba ». C’est « Nazaire » qui organisou les coups. Du
« Nica » au « Guerselli », on l’intindou crïi les noms des
tireux.
D’su l’grand place,
il avou in p’tit carroussel, in tir à pipes, enn baraque à frites. Mais ni een
pétite baraque comme on voit el long des
routes. Il avou des tables, des chaises, des lumières. S’astout
« Carpiau » et s’famille qui faisenn’t des bonnes frites. Des frites
dès ducasse, el n’ont ni l’même goût.
A costé, on avou
monté ein kiosk qui atteindou el venue des musiciens. Nos avinn’ enn phanphare aveu
deux tois bons musiciens. Il avou Fernand Bottemanne aveu s’saxophone, ‘El Baron
yet Hector Libeau aveu leu tuba, les frêres Dereume aveu leu bugle, el « Grand
Gilet » aveu s’bombardon qui faisou deux coups l’tour d’es stiesse avant
d’invouï l’pavillon inviet les nuâges. S’astou « Monmon qui les mainnout
al baguette. Y appourtint’te enn miette dès gaité din nos p’tit villadge.
On les intindou
passer au son d'el marche d'el « société des nations ». Aux
intermins, y d’jouinn’t « El rose dès Sainte Ernel ». Pou
l’distribution des prix, y v’ nin’t nos cai à scole, et nos dallinn’t in rangs
au son del musique, au salon d'el maison du peupe ou au sî d' l’Alcasar. Al
remise des prix, quand nos avinn’t in bon résultat, nos avinn’t co in air dè
musique.
El lundi, il avout enn
course cycliste. Enn’ trentaine dès d’jounes gaillards, astin’t rassemblés
patvant el café du Central. Leu vélo r’flettin’t el soleil.
Mais vllà qu’on
sounne à l’églige. S’astou « Fernand du courdanni », "Fernand à
r’sour" comme les mauweiges langues l’appelinn’t , qui tirou d’su l’corde
pou fait d’aller les clocs.
El sonnninn’t pou
in mariadge, in baptême, mai paquou, el sonninn’t à mourt. A don, on viou les
coummères arriver d’su leu huche. « Qui s’qu’est c’est ? »
« C’est li, tout vieil assez pou fait in mour », " waïe em
d’jin, yès s’femm d’a vu aveu li ". L’oraison funêbre terminé, el
rallinn’t à leu cassroles.
Ervennons à nos
coureux. S’astout l’champette qui faisou l’circulation. Il astou là aveu s’haut
képi et ses gants blancs. On nous avou appri al saluer au même titre qu’è no
maÏeur et qu’no curé. Ah, no bon vi curé, aveu s’manteau tout rapé, qui d’allou
pa tous les temps souladgi el misère.
Nos coureu
smett’ent ein route. Y passen’t dévant « Hélène Piétrons », el « Gorli »,
el « Menneer », al fontaine dévant « l’Quetquet », après
dévant « l’Bladgeot », « D’jean qui r’cule ». Ein haut d’el
t’chapelle, y perdinn’te l’pavée pou passer dévant « l’Tonny », « el
Pitch Hannique ». Al Ravisée, y tourninn’t à l’amia Durieu pou vir « Maria
du d’bout », « Pantchet », « Lemaire », » Les
Pèpiotte », « Voituron », « Bousicht » qu’a yeu
s’maison bombardée in 40.
Y desquindinn’t el
gare. Din l’fond, il avou « Brayette ».Vla ein homm qui nous a quecfoi
fait rire. Y nos t’chantou qu’il astou toudi malade, el rate qui sdérate, s’n’intestin
qu’est trop plein, et brâmin d’s’autes affaires. Ensuite il avou « Julia
Bleusi », el « Zèzet » qu’a sté champètre pindant l’guerre.
Y arrivin’t ainsi
au pont tournant. No astinn’t d’su l’grand place pou les raguider passer. El
premi, on l’acclamou par principe, s’astou toudi l’même. Quand el’ploton
passou, on criou « allez Robette ». Mais mes amis, qué acclamation,
quand on viou arriver du pont, « Brin d’pouille » yè « ‘l’Pette ».
Qué ducasse ! »
*****
En français
Quelle
kermesse.
Texte récité en
wallon lors d’une réunion des « Anciens d’Arquennes », en1994,
réunion organisée pendant plusieurs années par Jacques Dechief. C'était aussi
l'occasion de rappeler quelques sobriquets couramment utilisés dans le village.
« Avant la
guerre, nous parlions couramment le Wallon. Nous étions, en quelque sorte,
bilingues. Nos aînés, nos grands
parents, faisaient tout leur possible pour nous parler en français et nous
avions des recommandations du genre : « faites bien attention en retournant
(ralant) mon petit, ne marchez (pestellez) pas dans les bouses (flattes) et refermer
(r’clapper) bien la barrière (baille) pour que le cochon ne s’en aille pas (pette
pas voye).
A la kermesse, il
avait de l’amusement sur toutes les places.
Sur la place
communale, on tendait un fil entre la maison de Camille Permans « Tchaufourni »
et la maison Treutens. A ce fil, pendait un sac contenant une bouteille qu’il
fallait casser d’un coup de bâton, les yeux cachés. On criait au volontaire
pour le guider : « plus à
gauche, plus à droite ». Il se retrouvait parfois devant la cure et cela
donnait une ambiance du tonnerre.
On organisait aussi
une course avec des brouettes chargées d’une boule de jeu de quilles.
Sur la place Mathy,
était monté un beau manège, avec des chevaux qui galopaient. Quel beau
carrousel, avec des glaces qui reflétaient les lumières. Je me vois encore,
avec mes courtes culottes, sur le cheval qui montait et descendait au rythme de
la viole qui jouait plus souvent qu’à son tour, « Le moulin de la Forêt Noire ».
A la fontaine, au
café tenu par Derideau, (El Quetquet) c’était un jeu de bouloir. Il fallait
abattre des quilles d’un mètre de haut avec des boules aussi grosses que nos
têtes.
Si on montait la
rue de Chèvremont, on rencontrait les tireurs à l’arc. Ils avaient un petit
chapeau en velours noir, des manchettes, et ils étaient fiers de montrer le
petit oiseau en plumes qu’ils venaient d’abattre. La perche verticale se
trouvait sur la prairie de Jean-Baptiste
Moreau. Là, assis devant une petite table, c’était Nazaire Dechief, qui
organisait les tirs. De la Maison du Peuple (Nica) au pont du Warchais (El Guerselli),
on l’entendait crier les noms des tireurs.
Sur la grande
place, étaient montés : un petit carrousel, un tir à pipes, un
« cochon d’Inde », et aussi une friterie. Mais pas un petit stand
comme on voit le long des routes. Il y avait des tables, des chaises, des
lumières. C’était la famille Carpiau qui faisait de bonnes frites accompagnées
de haricots. Les frites de ducasse, elles n’ont pas le même goût.
Au milieu, on avait
monté un kiosque qui attendait la venue des musiciens. Nous avions une fanfare
avec quelques bons musiciens. Il y avait : Fernand Bottemanne avec son
saxophone, « El Baron » et Hector Libeau avec leur tuba, les frères
Dereume avec leur bugle, el « Grand Gilet » avec son bombardon qui
faisait deux fois le tour de sa tête avant d’envoyer le pavillon vers les
nuages. C’était « Monmon » qui les conduisait à la baguette. Ils
apportaient un peu de vie dans notre petit village.
On les entendait
passer au son de la marche « De la Société des Nations », Aux
enterrements, ils conduisaient le mort au cimetière au rythme de la musique de
« La rose de Sainte-Ernelle ». A la veille des vacances, le jour de
la distribution des prix, ils venaient nous chercher à l’école pour nous
conduire en rang au salon du Peuple ou à celui de l’Alcasar. A la proclamation,
quand nous avions un beau résultat, nous avions encore un air de musique.
Le lundi, c’était
la course cycliste. Il avait une trentaine de jeunes gens rassemblés devant le
caf é du Central (Hector Libeau). Leur vélo reflétait le soleil.
Mais voila que les
cloches de l’église se mettent à sonner. C’était Fernand « du
cordonnier » , « Fernand à ressort » comme les mauvaises
langues l’appelaient, qui tirait sur la corde pour les faire aller.
Elles sonnaient
pour un mariage, un baptême, mais parfois pour annoncer un décès. Alors, on
voyait les femmes arriver sur leur porte, ‘qui est-ce ? », « ah c’est lui, il est assez vieux pour
mourir », « oui mon amie, et sa femme en a vu avec
lui ».L’oraison funèbre terminée, elles retournaient à leur cuisine.
Revenons à notre
course. C’était le garde-champêtre (monsieur Durez) qui surveillait la
circulation. Il était là avec ses gants blancs et son haut képi. On nous avait
appris à le respecter au même titre que notre bourgmestre et que notre curé. Ah
notre bon vieux curé, avec son manteau tout usé, qui allait par tous les temps
réconforter ses paroissiens en difficulté.
Nos coureurs se
mettent en route. Ils passent devant Hélène Piétronce, « Biribitch »,
« el Gorli », « el Meneer ». A la fontaine, devant
« el Quetquet » (Derideau), après devant « l’Bladgeot »,
« d’Jean qui r’cule ». En haut de la chapelle, ils descendent la
chaussée (anciennement pavée). Ils passent ainsi devant « l’Tonni »,
« Pitch Hannique ». Au lieu dit « la Ravisée », ils
tournent pour passer devant le hameau Durieu. Là se trouvent : « Maria
du d’bout », « Pantchet », « Lemaire », « el
Pas », pour arriver devant « Les Pépiotte »,
« Voituron », « Bousitch » qui a eu sa maison bombardée en
40. Après « l’Cambuse », ils descendent le chemin de la gare pour
arriver devant « Brayette ». Voila un homme qui nous a parfois fait
rire, aux fêtes qu’on organisait pendant la guerre au profit de nos
prisonniers. Il nous chantait qu’il était toujours malade, avec sa rate qui se
dilate, ses intestins trop pleins, l’occiput qui chahute et encore bien d’autres
choses. Ensuite, les coureurs passaient devant « Julia Bleusi »,
« El Zézet » qui a été champêtre pendant la guerre. Ils arrivaient
ainsi au pont tournant. Nous étions sur la grand-place pour les regarder
passer.
Le premier on
l’acclamait par principe, c’était toujours le même. Au passage du peloton, on
criait « allez Robette ». Mais mes amis, quelle acclamation, quand on
voyait arriver du pont, « Brin d’pouille» et « l’Pette ».
Quelle
kermesse !