mercredi 24 juillet 2013


Les malheurs des frères Philippe, censiers de la ferme du Sart,

à Seneffe.

 

La lecture du livre de Roger Darquenne, Brigands et larrons dans le département de Jemappes, édité par le Cercle Henri Guillemin, d’Haine-Saint-Pierre, nous apprend une mésaventure qui s’est passée à Seneffe.

En 1794, sans doute vers Noë1, les célibataires Jean-Joseph Philippe et son frère Thomas, dit le philosophe, sont assaillis par environ 25 voleurs. Brisant les barreaux de la fenêtre de cuisine avec un coutre de charrue, ils pénètrent dans la maison, raflent ce qu'ils peuvent et rossent, à coups de pieds, de poings et même au plat de sabre, Jean-Joseph Philippe qui s'en tire avec une côte droite cassée.

Suite aux révélations d’André Mansy[1], on identifiera par la suite une série de bandits: Jean Rombaux, 35ans en1807, né à Fayt-lez-Seneffe, fils de François-Etienne et de Françoise Hennebert. roulier[2] à Jolimont sur Haine-Saint-Pierre ; Charles Blairon, de Haine-Saint-Paul, époux d'Angélique Rombaux et beau-frère du précédent, décédé le 10.09.1802, après avoir reçu par les derniers sacrements et 1'absolution de ses lourds péchés; Cyrille Bailly, dit Cerise, charbonnier de 51 ans en 1807,  né à Saint-Vaast, fils de François et de Marie-Joseph Raux, charbonnier établi à Forchies-la-Marche par son mariage avec Catherine Dumonceau; Adrien Van Dorden, 27 ans en 1796, natif de Valenciennes, conducteur de chevaux, demeurant à Thiméon, et son frère Nicolas, 22 ans, journalier,  né à Feluy mais habitant Gosselies. Ces deux brigands seront exécutés le 3 nivôse an 5 (vendredi 23.12.1796) pour vols en bande la nuit, assassinat consommé et tentatives de meurtres dans la région de Charleroi. On sut encore qu'un certain Virlette,  de Saint-Vaast,  et ses trois beau-fils, les frères Duvivier, étaient dans le coup avec un nommé N. Carroui, de Saint-Vaast, autrefois fermier à Godarville puis marié à une veuve de Forchies. Carroui et Virlette seront fusillés à Tournai. Malgré les imprécisions du dossier,  la mort par fusillade ne frappe alors que les condamnés par la justice militaire. Or nous savons qu'après les troubles de brumaire an 7, le tribunal militaire siégea à Tournai et prononça quatorze peines de mort entre le 19 mars et le 29 septembre 1799. Carroui et Virlette doivent être parmi eux. Enfin deux individus de Petit-Rœulx, jamais identifiés, semblent avoir participé à l'attaque de la ferme du Sart.

En mai 1800, cette dernière est encore visitée. Par un trou pratiqué dans la toiture du grenier, Charles Blairon et Jean Rombaux volent deux sacs de grains qu'ils emportent sur un cheval appartenant à Malbecq domicilié à Jolimont sur Bois-d'Haine. Un de ces sacs était troué: on put suivre la trace du cheval jusque Bellecourt mais pas plus loin de sorte que les deux voleurs échappèrent aux poursuites.

La ferme seneffoise est particulièrement visée car la sœur de Rombaux y est occupée comme servante et elle a la langue bien pendue. Profitant de son indiscrétion, son frère l'espionne adroitement, Il apprend ainsi qu'il y a beaucoup d'argent caché dans un pot de cabaret, sous le lit du philosophe. La servante dort au grenier; elle y monte le soir par une trappe qu'elle verrouille. En se faisant expliquer la disposition des pièces, Jean Rombaux éveille les soupçons de sa sœur qui s'empresse de remettre son tablier chez les Philippe vers la mi-décembre. Il est trop tard : le plan est prêt et Rombaux n'a plus qu'à chercher l'aide de ses complices Bailly et Mansy. Rendez-vous est pris chez Rombaux où arrivent Mansy, Blairon. Nicolas Duvivier, beau-fils de feu Virlette, et Baillv flanqué de son fils aîné. Ce dernier ne participe pas à l'expédition mais assistera au partage du butin comme la sœur de Rombaux, cette dernière a donc quitté son emploi en connaissance de cause.

Arrivé à la ferme du Sart dans la nuit du 12 au 13.01.1801 (22-23 nivôse an 9), Rombaux colle son oreille à l'huis : un des fermiers berce l'enfant d'une nièce. Les voleurs s'éloignent donc de 300 pas, se tapissent au creux d'un vallon où, pour se protéger du vent glacial, ils allument un feu de bois. Au bout d'une heure, la maison est endormie et, répétant le scénario de mai, ils pratiquent un trou dans la toiture où se glisse Rombaux suivi par Mansy, éclairés par une torche de paille flambée. Sitôt dans le grenier, ils brûlent une chandelle avec une allumette à soufre, qu'ils ont eu la précaution d'emporter. La servante est fermement invitée à se taire avec promesse de récompense : ils n'ont plus qu'à tirer le verrou de la trappe pour avoir la voie libre et ouvrir la porte aux complices. Entre-temps Nicolas Duvivier a pénétré dans la chambre de Jeanne-Joseph Clément, la gouvernante nivelloise, qu'il tient en respect avec son fusil.

Jean-Joseph Philippe, devenu infirme, ne fait aucune difficulté. Le philosophe est plus coriace: Rombaux l'arrache du lit, le traîne dans la chambre de la gouvernante et les enferme tous deux non sans que Duvivier n'ait donné un coup de canon de fusil à l'homme.

Ils peuvent alors vider la maison à leur aise en s'éclairant d'un « crachet » de mineur dont les campagnards seneffois n'ont pas l'usage. Ils emportent des chemises d'homme et de femme, deux bouteilles de genièvre, du café brûlé, un pain, de la viande de porc trouvée dans un saloir en pierre,  deux pistolets, deux bourses et surtout le pot qu'ils brisent contre un mur après que Rombaux ait vidé dans un grand mouchoir les 800 à 1.000 florins (1.688 à 2.111francs. la valeur d'une petite maison). Puis ce dernier remonte au grenier et jette une pièce de cinq francs en pâture à la servante Marie-Louise Harvent, née à Strépy-Bracquegnies, mariée à François Fromont, cloutier à Godarville. L'affaire a duré une heure et demie et, le lendemain, le domestique et la servante retrouvent le pot cassé et un double louis d'or, le seul rescapé du pillage.

Rombaux s'était noirci le visage mais la servante l'a identifié à son gilet rouge et à son habit-veste bleu. Il est donc arrêté deux jours après. Là-dessus sa sœur, bien qu'elle ait assisté au partage, court sans désemparer à Seneffe et jure ses grands dieux que son frère n'est pas coupable. Lorsque le juge de paix Godefroid Frize l’interroge, le lendemain de la capture de Rombaux, le fermier et sa servante, affirment ne pas le reconnaître. Sans doute craignent-ils des sévices plus graves de la part des complices en liberté. Encore une fois la loi du silence a joué sous l'empire de la terreur. Rombaux est donc relâché et le soir même, les gendarmes Raclot et Minart font ripaille une partie de la nuit avec sa sœur et lui. Cette attitude malsaine de certains représentants de l'ordre résulte des mauvais choix qui se sont opérés lors de l'organisation hâtive de la gendarmerie dans les départements réunis.

De Raclot, nous ignorons tout, mais de son collègue Minart, de la brigade de Seneffe, nous savons qu'il est buveur et violent. Il cherche noise à ceux qui refusent de lui payer à boire et est ainsi mêlé à des rixes à Chapelle-lez-Herlaimont, Gouv-lez-Piéton, Fayt-lez-Seneffe.

Bailly, surnommé la terreur du canton, n'hésite pas à se vanter du vol de Seneffe et menace d'accuser de complicité quiconque se hasarderait à le dénoncer. Il sort de l'argent par poignées et paye ses dettes illico. Habituellement vêtu d'une jaquette et d'un pantalon gris, il s'habille désormais avec plus de soin. Il fait venir chez lui Claire Coppin, une couturière à la journée, pour lui confectionner deux chemises « d'une toile très fine imitant le rolet »,  deux autres pour sa femme, d'une toile plus rude; cinq chemises pour ses enfants en  « toile de boutique » et une paillasse en toile grise ayant nécessité une pièce de 11 à 12 aunes (environ 8,5 mètres). Vantard, égoïste, voleur, terroriste, Bailly est vraiment un gibier de potence.

Rombaux est tout aussi vaniteux. Après le vo1, il se vêt avec plus de recherche, s'achète une charrette et deux chevaux « faisant l'homme d'importance en voyageant tantôt avec sa charrette, tantôt sur un cheval de selle », visitant principalement son complice Bailly.

Comble d'audace, Rombaux serait venu, après le vol, proposer à Thomas Philippe, assez aisé pour vivre en rentier, de lui céder sa ferme à bail et de lui payer le fermage un an d'avance. Philippe se garde bien d'en parler car il tremble devant un tel individu. Lorsque les magistrats lui demanderont la raison de son silence et de son refus de reconnaître Rombaux, il répondra, en paysan madré, qu'on ne lui a pas fait prêter le serment de dire rien que la vérité, toute la vérité et que dès lors, il n'est pas obligé de tout dévoiler.

Philippe n'est pas le seul à craindre Rombaux. Même le garde champêtre Dominique Lenglez, exerçant à Seneffe avant d'être muté à Morlanwelz, a peur de parler et de voir sa ferme incendiée.

En vérité, Rombaux n'a pas eu l'impudence de se présenter chez sa victime. C'est la gouvernante Jeanne-Joseph Clément qui apporte les précisions nécessaires. Longtemps servante chez les Philippe, Catherine Allart,  fille de feu Jean-Baptiste, ancien garde chasse chez M. Charlier de Buisseret, était avant la Révolution la maîtresse de Nicolas Pierson, un vieux garçon natif de Stenay, en France, et domestique de labour. C'est ce dernier, et non Rombaux, qui avait proposé aux Philippe la cession de bail. Une fois de plus la fragilité des témoignages oraux est éclatante.

Pour la petite histoire, disons que Thomas Philippe mourra avant son frère infirme. Agé de 80 ans en 1808, ce dernier a cédé la ferme à Jeanne-Joseph Clément mariée depuis à Jean-Baptiste Scailquin.

Jean-Joseph Philippe était parti résider à Nivelles près de son beau-frère Grégoire-Joseph Clément, de neuf ans son cadet.

Mansy raconte enfin un dernier vol, perpétré en janvier 1799 (nivôse an 7) à Ecaussinnes-d’Enghien, dans une ferme isolée à la limite de Mignault, chez Philippe Sirjacques, encore un vieux garçon. En ce temps, il y a beaucoup de non mariés. Les révolutionnaires français condamneront le célibat, une forme d'égoïsme, contraire à la théorie physiocratique affirmant que la richesse d'une nation est fonction du nombre de ses bras. Au moment du vol, Sirjacques vit avec deux sœurs qui se marieront sur le tard : Marie-Joseph épousera Hendrik Decock, boulanger à Tubize, et l'autre restera aux Ecaussinnes, deviendra infirme, au pain de son mari, le tisserand Pierre Dehon. Le fermier est absent lorsque se présentent de soi-disant conscrits cherchant leur route et du pain. Comme les deux filles refusent d'ouvrir et se sauvent au grenier, ils cassent une fenêtre. Par peur de violences, elles descendent ouvrir et se font enfermer à 1a cave par plusieurs hommes masqués. Grâce à Mansy, on saura qu'il s'agit de lui-même, de Rombaux, de Bailly avec sans doute Carroui et Virlette fusillés peu après. En effet, quinze jours après ce vol de nippes et d'argent, Pétronille Baligand, en service à Saint-Vaast, vient raconter à Marie-Joseph Sirjacques qu'elle a remarqué sur la femme et la fille de Carroui des effets venant peut-être de chez elle. Marie-Joseph Sirjacques dépose alors plainte chez le juge de paix du Rœulx qui vient perquisitionner pour identifier les vêtements. L'épilogue de cette affaire ne s'est donc produit qu'en 1808.



 
1. André Mansy, 33 ans, répondant aux sobriquets de parrain et perroquet, fils de Sébastien et de Marie-Joseph Soupart, ancien ouvrier mineur au charbonnage de Trivières, promu garde-champêtre à Haine-Saint-Pierre sous le régime républicain, sera condamné de 24 années de fers et à l’exposition préalable en 1808, pour différents méfaits dans le Hainaut
[2] Roulier= voiturier