dimanche 21 juin 2020

A PROPOS DE L’ASSASSINAT DE SAINT-FEUILLIEN


A PROPOS DE L’ASSASSINAT DE SAINT-FEUILLIEN
                                                                                                      Transcrit par M. Pierre Fils

Selon l’esprit de son temps nous livrons ici un texte concernant la mort de Saint-Feuillien : 
Ce texte est extrait du livre "Légende des commandements de Dieu - J. Collin du Plancy" - Paris - Paul Mellier, libraire éditeur.
« "L'expiation est la source du crime aussi exactement quelques fois que le jour est la suite de la nuit" - Philou.
Et vous vous étonnez, bonnes gens de Seneffe, de vous voir encore disséminés, commune écartelée en sept ou huit hameaux, au lieu, de vous pavaner riante petite ville agglomérée dans votre beau site du Hainaut pittoresque ? Mais vous oubliez donc ce que vos pères ont Laissé ? Un crime s’est commis chez vous : Qu’avez-vous fait pour l’expier ? Un forfait qui a troublé ces mêmes sentiers où vous vous promenez insouciants (dans) vos rêveries eut lieu en l’année 655. Il y a longtemps de cela[1].
Mais il faut de longs parfums de vertu pour enlever tout à fait les vapeurs empestées des mauvaises actions.
Le jeune roi Clovis II venait de mourir, et Bathilde, cette douce et pieuse reine, que ses vertus avaient tirées de sa condition d’esclave pour la placer sur le trône, allait gouverner comme régente, elle ne cherchait que Dieu et la solitude.
Clotaire III et Chilpéric II, ses fils, étaient encore enfants.
C’était donc le 31 octobre 655.
Un homme de Dieu, venu d’Irlande pour apporter la foi chez nos pères, menant dans nos sauvages contrées la dure vie de missionnaire, offrant partout la paix, le salut et les discours qui consolent, recevant les grossières injures, les hideuses menaces et les mauvais traitements, parcourant un pays où déjà son frère Fursy avait trouvé la mort, foulant une terre que le sang de plus d’un martyr avait déjà arrosée et marchant parmi les hommes, avec plus de périls que le voyageur sans armes dans les forêts où habitent le tigre et la panthère. Seulement (quelques) monastères s’étant élevés en certains lieux ; il y avait çà et là quelques gîtes où il rencontrait des Frères.

Cet homme était de sang illustre[2]-[3], on dit même que le souverain pontife lui avait conféré la dignité d’évêque.
Les Bollandistes nous ont conservé la touchante histoire de son origine :   
Au temps où régnaient dans les Gaules les petits enfants de Clovis, il y avait en Irlande un roi qui se nommait Finnloga. Le pieux évêque Breudan était son frère. Aedin, un des rois de l’Ecosse, avait une fille merveilleusement belle, qui avait nom Gelgès, et qui était chrétienne en secret. Le fils du roi Finnloga en devint épris et l’épousa devant les autels. Ma mère seule de la princesse avait permis cette union qu’il fallut cacher au roi Aedin, implacable ennemi de la foi, mais il en fut bientôt informé ; il fit saisir sa fille et la condamna à être brûlée vive. Prières et supplications ne purent l’attendrir. En vain, ses proches parents et les plus vénérés personnages lui représentèrent que l’homme ne pouvait séparer ce que Dieu avait uni. Il fit apprêter le bûcher.
Alors, soit que la bonté du ciel eût fait un miracle, soit que par une cause naturelle qui n’est pas expliquée, la triste Gelgès n’eut pas plutôt mis le pied sur les tisons enflammés qu’ils s’éteignirent. Son père ne fut pas touché par cette merveille, cependant on obtint de lui la vie de sa fille qu’il condamna à un exil perpétuel. Elle se retira avec son époux chez le bon évêque Breudan et dona le jour dans l’exil à trois fils : Fursyn, Foillan et Ultan. Ils étaient déjà grands lorsque, leur grand-père Finnlogan étant mort, ils virent leur père élevé au trône
Au lieu de le suivre dans les grandeurs, instruits par Breudan, ils résolurent de se consacrer entièrement au service de Dieu, et ils s’embarquèrent pour les Gaules » [4].
Nous avons déjà dit que Fursy avait atteint le but de ses travaux. Foillan, le second frère, se disposait le 31 octobre 655, à partir pour Nivelles, où il avait pris un peu de repos. Depuis trois ans que la vertueuse Iduberge, épouse de pépin de Landen était morte dans le monastère de Nivelles qu’elle avait fondé, c’était sa fille Gertrude qui en était abbesse. Elle-même, bientôt, si jeune encore, allait passer à la vie éternelle.
Gertrude et sa mère avaient donné à Foillan, en 633, le domaine de Fosses où il y avait fondé une église et un monastère. La tour bâtie par lui n’a pas encore disparu.
Avant d’aller rejoindre son frère Ultan au monastère de Fosses dont il avait la conduite, Foillan[5] voulait célébrer la fête de tous les saints avec le bienheureux Vincent Maldegher, son ami. Il se remit en route, il prit à travers les clairières qui couvraient le pays, le chemin de Soignies où il devait trouver l’hospitalité de la nuit dans le monastère de Vincent. Il marchait, la prière à la bouche et al prière au cœur. Après qu’il se fut avancé dans des sentiers capricieux, à peine tracés, où il ne rencontra que le désert et le silence, il aperçut enfin quelques habitations humaines, des toits de chaume, des huttes de bûcherons, des métairies, c’était Seneffe.
Ce pays s’appelle Seneffe, vu que la Senne y fait une esse. Cette petite rivière toutefois n’y fait qu’une esse à présent que pour s’en éloigner, nous aimons mieux nous appuyer de la légende de saint Foillan, qui appelle ce lieu Soneffe[6] : parce qu’il était, ainsi que Soignies, dans la forêt de Soigne, dont le nom celtique ou flamand est dû au soleil, qu’on y adorait[7].
En arrivant à Soneffe ou Seneffe, Foillan, qui s’était un peu égaré, voyant qu’il se faisait tard et qu’il avait à peine achevé la moitié de sa route, entra dans une chaumière et y demanda des guides. Les mines effroyables et les regards farouches des sauvages habitants de la cabane eussent troublé tout autre que le missionnaire, mais comme cette glace des contes orientaux, qui ne réfléchissait pas les objets informes, le cœur d’un saint ne peut soupçonner le mal.
Moyennant un salaire convenu, deux guides s’offrirent pour conduire Foillan. Sur un signe qu’ils firent à deux autres de leurs robustes compagnons, ceux-ci les accompagnèrent encore, et   la nuit venait, une de ces nuits tristes et brumeuses qui signalent novembre.
De temps en temps, par le chemin âpre et inégal, Foillan parlait à ses guides, qui lui répondaient peu. Il reconnut vite qu’ils étaient encore païens et il soupira. Il les entretenait doucement de Dieu, de sa bonté et de sa clémence, de sa mansuétude, de sa miséricorde, des récompenses éternelles qu’il réserve surtout à ceux qui ont souffert, il leur montrait ses bras paternels toujours ouverts aux pauvres humains, il disait quelques paroles pénétrantes de l’immense sacrifice de la croix. Pour toute réponse, il n’obtenait que des grognements inexplicables qui lui tombaient tellement sur le cœur. Il se taisait alors, il priait pour ces pauvres gens, puis il reprenait encore son doux langage. C’était alors comme dit le bienheureux Denis le Chartreux, répandre du lait dans le marécage ou du miel dans un monceau de cendres.
Le saint arriva avec ses guides en un lieu de la forêt où était adorée une idole stupide et vaine – selon les uns Appolon ; Theutalès selon les autres, - Thor, peut-être.
Là, soit que ces hommes à qui Foillan donnait la lumière, aient voulu le contraindre à sacrifier comme eux aux ténèbres, soit qu’ils n’aient songé qu’à le dépouiller[8], se jetèrent sur lui, l’assommèrent de leurs bâtons et, insensibles à cette voix qui s’éteignait en priant pour eux, ils laissèrent le corps inanimé et reprirent le chemin de leurs tanières.
La nuit se fit tout à coup plus froide et plus rude, un vent violent se mit à hurler dans les vieux arbres, une grêle furieuse poursuivit les assassins qui se jetèrent sans remords sur la paille de leur couche grossière. L’hiver, accélérant sa marche, venait d’éclater avec rigueur. Le lendemain matin, une neige épaisse, qui pendant trois mois ne devait pas fondre, couvrit la terre de cette contrée, novembre et décembre passèrent sans qu’on revît le soleil.
Cependant les compagnons de Foillan s’inquiétaient de son absence prolongée. On était troublé de ne point l’avoir vu aux fêtes de noël qu’il célébrait ordinairement à Fosses. Sa disparition effrayait les monastères. Ultan, comme il était en prière, répétant tristement le nom de son frère chéri, vit passer une colombe blanche comme la neige, mais dont les ailes étaient rougies d’un sang fluide.
Une vision semblable frappa Gertrude, et le 15 janvier 656, un avis fut donné à la pieuse abbesse, dans sa cellule de Nivelles, qu’en un lieu de la forêt de Soigne la neige était rouge. Le lendemain 16, la sainte s’y rendit, guidée par une vapeur sanglante qui se voyait de loin, et qui montait comme une colonne diaphane du lieu où reposait le martyr, jusqu’au ciel.
On découvrit le corps de Foillan. Il fut porté en pompe à Nivelles, où l’on voulait le posséder, mais Ultan désirait qu’il soit enterré à Fosses, comme il l’avait demandé souvent. Pour gagner ce monastère, il fallait traverser la Sambre, alors débordée par le dégel subit. On raconte que Gertrude ordonna de laisser libres les chevaux qui conduisaient le cercueil et qu’ils passèrent, suivis de la foule, dans le lieu qu’on a toujours appelé depuis le gué de sainte Gertrude.
Les habitants du canton où le corps du martyr était resté abandonné soixante-dix-huit jours, élevèrent sur le lieu même une chapelle qui devint par la suite une très belle église, à laquelle se joignit en 1125 une abbaye de Prémontrés.
La couleur de la neige qui avait révélé le lieu du crime avait donné à ce lieu le nom de Rood (rouge), dans les titres latins : Rodius, c’est le Rœulx, importante seigneurie du Moyen-âge, aujourd’hui encore jolie petite ville.
Vous vous excuserez peut-être gens de Seneffe, en vous appuyant du texte de quelque légendaires qui, ne chargeant pas spécialement les gens de vos cabanes, se bornent à conter que le bon saint, à un carrefour de votre territoire, rencontra des brigands qui l’assassinèrent.
Mais quoi qu’on ne dise pas duquel de vos hameaux sont sortis les félons, prenez-en tous la sombre responsabilité.
Si vous avez expié, expiez encore, où vous resterez disloqués en hameaux, entre le Rœulx, Nivelles et Soignies, devenus des villes.
Quant à vos quatre assassins infâmes, ne cherchez ni leurs huttes, ni leur descendance. Leurs huttes ont disparus, leur descendance est éteinte ; Dieu règne et gouverne, et la race des méchants est vite arrachée. On vous citera d’honnêtes familles qui ont dix siècles de généalogie et qui remonteraient plus haut, si elles avaient gardé leurs titres. Mais vous ne trouverez nulle part (plus de) trois générations de coquins. C’est à y songer un peu ».


[1] « Nos nobiles, cœnobiorum opes ad nos trasimus. Nunc opes nostras equestres illæ comederunt, et comsumpser unt hæ cœnobiales, ut ne que cœnobiales neque equestres amptius habeamus » (cité par Feller, p.2).
[2] « Sed longe animo quam cerne mobilitor » (Corn. De Smet, dans Ghesquière).
[3] Corneille de Smet, Joseph Ghesquière et  Isfr. Thijs, Acta Sanctorum Belgii selecta (antérieurs à 729). Bruxelles et Tongres, 1783-1794,  6 vol. in 4°
[4] Manuscrit Rubas Vallis, dans Ghesquière. Joseph Ghesquière, est un jésuite, numismate et érudit belge, historiographe de l’empereur d’Allemagne, né à Courtrai en 1731 et mort en 1802. Il fut admis parmi les bollandistes en 1762 et prit une part active à la continuation de leur œuvre.
[5] Dans les légendes latines Foillanus, quelques fois Foillianus ; dans les vieux écrivains français : Foignan. Les villageois l’appellent saint Feuillien.
[6] Sonefia ; -  et dans une charte de Burchard, évêque de Cambrai, 1182, Senophia
[7] Zon-Bosch, bois du soleil
[8] Quamvis ex fidel catholicæ odio trucidam nemo nos doceat (Corneille De Smet, dans Ghesquière)