lundi 26 septembre 2016

Qué Ducasse



            QUÉ DUCASSE.

Texte récité lors d’une réunion des « Anciens d’Arquennes », en 1994, réunion organisée pendant plusieurs années par Jacques Dechief.
Avant la guerre, nous parlions couramment le Wallon. Nous étions, en quelque sorte, bilingues. Nos aînés, nos grands parents, faisaient tout leur possible pour nous parler en français et nous avions des recommandations du genre : « faite bie attention in ralant em’ petit, n’ pesteller nie dins les flattes et r’clapper bie l’baille pour que l’verra n’pette ni voye".

Si maintenant nous parlons tous le français, nous devons reconnaître qu’une histoire racontée en wallon a plus de saveur. Nous allons essayer de nous rappeler ce qu’était une kermesse avant la guerre.

Al  ducasse, il avou d’l’amusemin d’su toutes les places.
D’su l’place communale, on teindou in fil intrêt l’maison du «Tchaufourni » et «  Treutens ». On y suspeindou in sac aveu enn bouteill qui fallou desquetter en eyant les yes muchis. On criou au volontair « pu à gauche, pu à droite » et ça vos donnou in embiance du tonnerre.
On orgnnisou étou enn course aveu des broëttes aveu enn boule dessus.

D’su l’place Mathy, il avou in bia carroussel, aveu des ch’vaux  qui gallopen’te.  Qué bia carroussel, aveu des glaces qui r’flettentt les lumières. Di m’vois co, aveu mes courtes maronnes, d’su l’chèveau qui montou et qui desquindou  au son d’enn viole qui d’jouou pu souvint qu’as tour « el moulin del forêt noire ».

Al fontaine, au « Quetquet », il avout in d’jeu d’boules. Y fallou abatte des quilles aveu des boules aussi grosses què nos tiess.

Si vo monti el’rue de Chévremont, vos rincontri les tireux à l’arc. Y aven’te in p’tit t’chapia in v’lour noir, des manchettes, y s’tin’te fier dè moustrer el petit mouchon qui v’nenne d’abattre. El perche vertical s’ trouvou d’su l’pré « Jeanba ». C’est « Nazaire » qui organisou les coups. Du « Nica » au « Guerselli », on l’intindou crïi les noms des tireux.

D’su l’grand place, il avou in p’tit carroussel, in tir à pipes, enn baraque à frites. Mais ni een pétite baraque comme on voit  el long des routes. Il avou des tables, des chaises, des lumières. S’astout « Carpiau » et s’famille qui faisenn’t des bonnes frites. Des frites dès ducasse, el n’ont ni l’même goût.

A costé, on avou monté ein kiosk qui atteindou el venue des musiciens. Nos avinn’ enn phanphare aveu deux tois bons musiciens. Il avou Fernand Bottemanne aveu s’saxophone, ‘El Baron yet Hector Libeau aveu leu tuba, les frêres Dereume aveu leu bugle, el « Grand Gilet » aveu s’bombardon qui faisou deux coups l’tour d’es stiesse avant d’invouï l’pavillon inviet les nuâges. S’astou « Monmon qui les mainnout al baguette. Y appourtint’te enn miette dès gaité din nos p’tit villadge.
On les intindou passer au son d'el marche d'el « société des nations ». Aux intermins, y d’jouinn’t « El rose dès Sainte Ernel ». Pou l’distribution des prix, y v’ nin’t nos cai à scole, et nos dallinn’t in rangs au son del musique, au salon d'el maison du peupe ou au sî d' l’Alcasar. Al remise des prix, quand nos avinn’t in bon résultat, nos avinn’t co in air dè musique.

El lundi, il avout enn course cycliste. Enn’ trentaine dès d’jounes gaillards, astin’t rassemblés patvant el café du Central. Leu vélo r’flettin’t el soleil.

Mais vllà qu’on sounne à l’églige. S’astou « Fernand du courdanni », "Fernand à r’sour" comme les mauweiges langues l’appelinn’t , qui tirou d’su l’corde pou fait d’aller les clocs.
El sonnninn’t pou in mariadge, in baptême, mai paquou, el sonninn’t à mourt. A don, on viou les coummères arriver d’su leu huche. « Qui s’qu’est c’est ? » « C’est li, tout vieil assez pou fait in mour », " waïe em d’jin, yès s’femm d’a vu aveu li ". L’oraison funêbre terminé, el rallinn’t à leu cassroles.

Ervennons à nos coureux. S’astout l’champette qui faisou l’circulation. Il astou là aveu s’haut képi et ses gants blancs. On nous avou appri al saluer au même titre qu’è no maÏeur et qu’no curé. Ah, no bon vi curé, aveu s’manteau tout rapé, qui d’allou pa tous les temps souladgi el misère.

Nos coureu smett’ent ein route. Y passen’t dévant « Hélène Piétrons », el « Gorli », el « Menneer », al fontaine dévant « l’Quetquet », après dévant « l’Bladgeot », « D’jean qui r’cule ». Ein haut d’el t’chapelle, y perdinn’te l’pavée pou passer dévant « l’Tonny », « el Pitch Hannique ». Al Ravisée, y tourninn’t à l’amia Durieu pou vir « Maria du d’bout », « Pantchet », « Lemaire », » Les Pèpiotte », « Voituron », « Bousicht » qu’a yeu s’maison bombardée in 40.
Y desquindinn’t el gare. Din l’fond, il avou « Brayette ».Vla ein homm qui nous a quecfoi fait rire. Y nos t’chantou qu’il astou toudi malade, el rate qui sdérate, s’n’intestin qu’est trop plein, et brâmin d’s’autes affaires. Ensuite il avou « Julia Bleusi », el « Zèzet » qu’a sté champètre pindant l’guerre.
Y arrivin’t ainsi au pont tournant. No astinn’t d’su l’grand place pou les raguider passer. El premi, on l’acclamou par principe, s’astou toudi l’même. Quand el’ploton passou, on criou « allez Robette ». Mais mes amis, qué acclamation, quand on viou arriver du pont, « Brin d’pouille » yè « ‘l’Pette ».
Qué ducasse ! »
                                                                                  *****
En français

                                               Quelle kermesse.

Texte récité en wallon lors d’une réunion des « Anciens d’Arquennes », en1994, réunion organisée pendant plusieurs années par Jacques Dechief. C'était aussi l'occasion de rappeler quelques sobriquets couramment utilisés dans le village.
                                              
« Avant la guerre, nous parlions couramment le Wallon. Nous étions, en quelque sorte, bilingues.  Nos aînés, nos grands parents, faisaient tout leur possible pour nous parler en français et nous avions des recommandations du genre : « faites bien attention en retournant (ralant) mon petit, ne marchez (pestellez) pas dans les bouses (flattes) et refermer (r’clapper) bien la barrière (baille) pour que le cochon ne s’en aille pas (pette pas voye).
A la kermesse, il avait de l’amusement sur toutes les places.
Sur la place communale, on tendait un fil entre la maison de Camille Permans « Tchaufourni » et la maison Treutens. A ce fil, pendait un sac contenant une bouteille qu’il fallait casser d’un coup de bâton, les yeux cachés. On criait au volontaire pour le guider :        « plus à gauche, plus à droite ». Il se retrouvait parfois devant la cure et cela donnait une ambiance du tonnerre.
On organisait aussi une course avec des brouettes chargées d’une boule de jeu de quilles.

Sur la place Mathy, était monté un beau manège, avec des chevaux qui galopaient. Quel beau carrousel, avec des glaces qui reflétaient les lumières. Je me vois encore, avec mes courtes culottes, sur le cheval qui montait et descendait au rythme de la viole qui jouait plus souvent qu’à son tour, « Le moulin de la Forêt Noire ».

A la fontaine, au café tenu par Derideau, (El Quetquet) c’était un jeu de bouloir. Il fallait abattre des quilles d’un mètre de haut avec des boules aussi grosses que nos têtes.

Si on montait la rue de Chèvremont, on rencontrait les tireurs à l’arc. Ils avaient un petit chapeau en velours noir, des manchettes, et ils étaient fiers de montrer le petit oiseau en plumes qu’ils venaient d’abattre. La perche verticale se trouvait sur la prairie  de Jean-Baptiste Moreau. Là, assis devant une petite table, c’était Nazaire Dechief, qui organisait les tirs. De la Maison du Peuple (Nica) au pont du Warchais (El Guerselli), on l’entendait crier les noms des tireurs.

Sur la grande place, étaient montés : un petit carrousel, un tir à pipes, un « cochon d’Inde », et aussi une friterie. Mais pas un petit stand comme on voit le long des routes. Il y avait des tables, des chaises, des lumières. C’était la famille Carpiau qui faisait de bonnes frites accompagnées de haricots. Les frites de ducasse, elles n’ont pas le même goût.
Au milieu, on avait monté un kiosque qui attendait la venue des musiciens. Nous avions une fanfare avec quelques bons musiciens. Il y avait : Fernand Bottemanne avec son saxophone, « El Baron » et Hector Libeau avec leur tuba, les frères Dereume avec leur bugle, el « Grand Gilet » avec son bombardon qui faisait deux fois le tour de sa tête avant d’envoyer le pavillon vers les nuages. C’était « Monmon » qui les conduisait à la baguette. Ils apportaient un peu de vie dans notre petit village.
On les entendait passer au son de la marche « De la Société des Nations », Aux enterrements, ils conduisaient le mort au cimetière au rythme de la musique de « La rose de Sainte-Ernelle ». A la veille des vacances, le jour de la distribution des prix, ils venaient nous chercher à l’école pour nous conduire en rang au salon du Peuple ou à celui de l’Alcasar. A la proclamation, quand nous avions un beau résultat, nous avions encore un air de musique.

Le lundi, c’était la course cycliste. Il avait une trentaine de jeunes gens rassemblés devant le caf é du Central (Hector Libeau). Leur vélo reflétait le soleil.

Mais voila que les cloches de l’église se mettent à sonner. C’était Fernand « du cordonnier » , «  Fernand à ressort » comme les mauvaises langues l’appelaient, qui tirait sur la corde pour les faire aller.
Elles sonnaient pour un mariage, un baptême, mais parfois pour annoncer un décès. Alors, on voyait les femmes arriver sur leur porte, ‘qui est-ce ? », « ah  c’est lui, il est assez vieux pour mourir », « oui mon amie, et sa femme en a vu avec lui ».L’oraison funèbre terminée, elles retournaient à leur cuisine.

Revenons à notre course. C’était le garde-champêtre (monsieur Durez) qui surveillait la circulation. Il était là avec ses gants blancs et son haut képi. On nous avait appris à le respecter au même titre que notre bourgmestre et que notre curé. Ah notre bon vieux curé, avec son manteau tout usé, qui allait par tous les temps réconforter ses paroissiens en difficulté.

Nos coureurs se mettent en route. Ils passent devant Hélène Piétronce, « Biribitch », « el Gorli », « el Meneer ». A la fontaine, devant « el Quetquet » (Derideau), après devant « l’Bladgeot », « d’Jean qui r’cule ». En haut de la chapelle, ils descendent la chaussée (anciennement pavée). Ils passent ainsi devant « l’Tonni », « Pitch Hannique ». Au lieu dit « la Ravisée », ils tournent pour passer devant le hameau Durieu. Là se trouvent : « Maria du d’bout », « Pantchet », « Lemaire », « el Pas », pour arriver devant « Les Pépiotte », « Voituron », « Bousitch » qui a eu sa maison bombardée en 40. Après « l’Cambuse », ils descendent le chemin de la gare pour arriver devant « Brayette ». Voila un homme qui nous a parfois fait rire, aux fêtes qu’on organisait pendant la guerre au profit de nos prisonniers. Il nous chantait qu’il était toujours malade, avec sa rate qui se dilate, ses intestins trop pleins, l’occiput qui chahute et encore bien d’autres choses. Ensuite, les coureurs passaient devant « Julia Bleusi », « El Zézet » qui a été champêtre pendant la guerre. Ils arrivaient ainsi au pont tournant. Nous étions sur la grand-place pour les regarder passer.
Le premier on l’acclamait par principe, c’était toujours le même. Au passage du peloton, on criait « allez Robette ». Mais mes amis, quelle acclamation, quand on voyait arriver du pont, « Brin d’pouille» et « l’Pette ».

Quelle kermesse !