vendredi 28 mars 2014

A PROPOS DE LA PLACE DU TRICHON


Alain GRAUX

TRICHON petit Tri.

 De nos jours, le Trichon s'est réduit à une place devant le moulin. Dans le passé, il s'étendait sur l'aire du parc du château du Trichon; de nombreux textes en font foi.
La première mention que nous trouvons date de 1441
Pierrart Valenne demeurant à Feluy, muni d'un chirographe daté du 13 janvier 1438 stipule qu’ » « Hanin Gallemart demorant a Feluy avoit vendu a Pierrart Valenne pour luy et ses hoirs la somme de 112 solz de rente assise sur une maison et tenure estant sur le Trichon, lequel tenure avoit esté jadis a Jehans de le Cambre, tenant à Jehan le Feron, vend la ditte rente à Agnès Ghislain vesve de Henry de le Clerhaye »

Les renseignements foisonnent au cours de l’ancien régime du XVe aux XVIIIe siècles
Le 31 mars 1450: le lieu est dit Trison, comme notamment ci-après :
«  Opprestoff le Cokelet vend à Jehan Cotteriau... l'eritaige d'un courtil ensique se contient emprès et au dessous de sa maison estant en le ruelle allant dessus le Trisson doudit Feluy, à le maison Jacquemart Le Prince ou présentement le dt Oppfle demorait, iceluy ten(ant) a le ruelle allant d'icelle première ruelle, à le Fontaine le Prieste (Coulette) et ten(ant) as courtil Noullard d'Ernault dit le Nutte ». (Gr. Scab. A.E.M.).

Le 22 décembre 1467. Jacquemart de Vertaing de Feluy d'une part et Gérard le Barbyeu demeurant à Besonrieux paroisse de Seneffe, d'auttre part, concluent « …et à l'endroict le dict Jacquemart cogneult avoir vendu l'héritaige d'une maison, lieu, pourpris, etc.., gisant à Feluy tenant à la rue du Trichon, à l'héritaige Jehan Cottreau, à Jacquemart le Prince du Trichon et a Hanin dou Sart »

Le 20 avril 1477, Tassart Descamps vend à Anthoine de le Motte demeurant à Feluy, «l'héritaige d’une maison manable avec le gardin ou il y a une quarière et le moictié du four et fournil gisant devant le fontaine du curé de Feluy, tenant à le maison et héritaige Jacques le Prinche du Trisson aussy au chemin allant du dit Trisson à le maison les hoirs Jacquemart le Prinche »

Le 9 avril 1478, Jacot dou Sart fils de feu Jehan dou Sart met à rente une maison qu'il possédait « gisant sur le Trichon  tenant à le Ruelle Colart Gaudier, à Jacquemart Ernault et ung gardin tenant à le court du Sart à Jacquemart le Prinche du Trichon et au debout à le Ruelle le Feron et audit Colart, pour 60 solz l'an de rente à Colart Gaudier ».

.Le 9décembre1509, Jehan de Fer donne à rente à ses enfants Hanno, Englebert et Joset de Fer «  à luy demorés en son pain de feue Jehenne Crabbeau qui fut sa femme première …l'héritaige de la tierche partie d'une maison, lieu, gardin et entrepresure gisant au Trichon, tenant à Nicaise le Feron, à Colart Gauldy le josne, et au waryschais »

Le 7 mai 1516,  Jehan, François et Gérard Gaudy, frères, reçoivent en héritage « pour eulx et leurs héritiers une maison pourpris, édiffices gardin et entrepresure gisant au Trichon, tenant al ruelle allant de laendroit à l'héritaige des enfans Jehan d'Arkenne, d'autre part à une ruelle allant de la maison Bastien Le Maire à la fontaine (Coulette) d'autre part à l'héritaige des hoirs de Jan Hanicq dit Woutelet et au Werischay »

En 1639. Herman Delbruyère doit sur la maison et héritage qu'il a acquis de Charles de Fer «…venant çy devant de Jean Villenfaigne gisant au Trichon,  tenant au grand chemin allant de Nivelles à Mons, au chemin allant du dit Trichon à la quarière  et à une ruelle descendant à la fontaine à la Coulette par deux costés… » (Table de Pauvres)

Le 4 février1679,  Pierre Wincq a mis en arrentement a Jean Pennart une grange, étable et jardin gisant au Trichon

 Le 25 février 1695, vers cinq heures de l’après-midi,  le mayeur de Feluy Gille Bernard, sortant de la maison du maréchal ferrant Jean Pennart, se trouvant au Trichon, fut abattu par des soldats français qui avaient investis le château de Feluy

L’appellation s’étend à une maison, on cite 24 mai 1717 :
« Item. En la maison et héritage nommé vulgairement le Trichon gisant aud Feluy contenant un bonnier ou environ, tenant au grand chemin allant de Feluy à Nivelles, au Chemin du Trichon, à une ruelle allant du dit grand chemin vers la fontaine al coulette, et à Jean Bourlart à cause de sa partie enclavée dans l'héritage dit Trichon »

Un texte de 1730 cite « De Jacq Pennart au lieu de Jean son père pour un coron de jardin de l'Hospital tenant à luy même, a Jean Baptiste Druez, a Jean Huon et au Chemin et place du Trichon doit par an 1 sol »

Faisons maintenant le tour de la place du Trichon pour y voir des bâtiments remarquables la composant :

Le moulin banal

À gauche face à l’étang du château, se trouve le moulin banal de Feluy
Edifié en contrebas d'une digue-canal en pierres de taille, l’ancien moulin à eau partiellement reconstruit en briques à la fin du XIXe s. sur un gros œuvre en calcaire remontant au moins au XVIIIe s.
En façade, un niveau de baies à encadrement de pierre, dont une porte du XVIIIe s. à linteau en bâtière tronquée frappé d un écu muet sur montants harpés, et quatre fenêtres quadrangulaires du siècle suivant.
A l'arrière, deux niveau, dus à la forte dénivellation, avec retour en L, conservant des baies du XVIIIe s. dans un parement de moellons : au rez-de-chaussée, une fenêtre à traverse et deux portes à montants harpés sous linteau droit ou échancré, celle de gauche murée, entre deux fentes d'aération, A l'étage, trois fenêtres en arc cintré à clé sur montants harpés et chanfreinés plus une petite à jour unique.
La première mention connue du moulin de Feluy est en 1318, lors du différend surgi entre l'abbaye de Bonne-Espérance et le seigneur de Feluy (Stroobant. cit. p.48-50).
On le trouve cité dans les relevés de la Chambre des comptes (n°15034 A.G.R.) de 1409 et en 1502:   « item a ung moulin à eauwe et à ban auquel tous ceux de la dite paroiche excepté ceulx de la maison de l’Escaille sont tenus de venir y mener pour ban pour LX solz de loi par le sace et la monée perdue » (Cartulaire de la Follie. Communication abbé Jous)
on retrouve le Moulin dans les registres de la seigneurie tout au long de l'ancien Régime.



 

Vers 1771, les deux moulins à eau sont loués à Eustache Berlaimont, pour 1050 livres par an « outre la livrance d’un cochon gras »

Eustache Berlaimont succéda  à son père Herme Berlaimont (décédé le 25 décembre 1756)
Le notaire Robert, d’Obaix,  réalisa un inventaire du moulin le 4 Thermidor de l'an XI de la république (24-7-1803)
Depuis août 1795, c’est Joseph-Fidel Jurion qui loue le moulin, il rompt son bail le 15 septembre 1814, c’est  Pierre Liénard qui lui succède.
En 1835, le baron  Albert-Louis d’Ysendoorn à Blois, fit construire un aqueduc partant de la chute d’eau de l’étang jusque vis-à-vis de son moulin (Stroobant, p. 508)
En 1866, Philippe Huens loue le moulin, il demande alors l’autorisation d’établir une machine à vapeur de 12 CV.
Le 28 avril 1880, un incendie embrasa le moulin, c’est Fernand Favette qui en est le meunier. Le moulin cessa son activité au début du XXe siècle.
Le moulin fut néanmoins habité vers 1914, par Victor Guillaume, vers 1928-1932, par Théophile Berghmans et son épouse Renelde Lemal, le moulin appartint ensuite vers 1945, à Philippe Dubois et par succession Romain Dubois. Le moulin est actuellement inhabité.

La carrière du Trichon

Cette carrière appartint pour moitié au maître de carrière Jean Cornet († Feluy 12-4-1790). Gabriel Poliart possédait l'autre moitié. Ce dernier continua l'exploitation avec la veuve Jean Cornet, Marie-Anne Lecomte.
La carrière échut par succession de son épouse, à Léopold Nopère (° Eppe-Sauvage-France 27-11-1728, † Feluy 10-1-1815), bailli de Feluy vers 1775, époux de Marie-Gabrielle Poliart.
Quelques rentes étaient dues aux Pauvres de Feluy, sur la carrière:

«  Les hoirs Léopold Nopère au lieu de Gabriel Poliart, Albert Cornet et la veuve Jean Cornet à présent, doit par an 35 sols de rente franche sur sa carrière.. »

«  Léopold Nopère sur sa carrière tenant à Albert Derideau de deux côtés, doit l'an de rente 59 centimes, échéantes au Noël »

Cette carrière s'étendait à côté de la demeure qu'il se fit bâtir en 1750, connue sous le nom de "château du Trichon", sur l'actuel jardin du notaire Debouche. Il en louait certaines parties, on y trouve travaillant, Jean Comptesse en l785-1799.
Il est probable qu'elle fut exploitée par les héritiers Nopère (ils étaient huit enfants), en particulier, Léopold-Godefroid et Adrien
Une partie de la carrière appartenait à Albert et Rosalie Derideau Le 15 avri1 1818, ils vendirent une maison et carrière à Nicolas Joseph Delalieux, maître de carrière à Feluy et à son épouse Marie Célestine Sirjacq « à l'endroit dit le Trichon tenant à la ruelle conduisant au Petit Moulin, d'un deuxième côté aux sieurs et dame Nopère, d'un troisième au Chemin de l’Equipée et d'un quatrième à une ruelle conduisant de ce dernier chemin au Maré du Trichon »

Le château du Trichon

Le dernier bailli de Feluy, Léopold Nopère fit bâtir une belle demeure vers 1755
Dans une propriété emmurée, formant l’avant de l’ancienne carrière, disposés de part et d'autre d'une cour fermée par une grille monumentale, cet immeuble et dépendances furent, rénovés en style néo-classique vers 1850.
A gauche, un large corps d'habitation entièrement cimenté et peint, comptant deux niveaux et
demi, ce dernier du XIXe s., avec sept travées de baies en façade, sur un soubassement en pierre de taille, fenêtres à encadrement de calcaire, avec montants en délit sous arc cintré à clé: au centre, porte du XVIIIe s. à encadrement creusé d une gorge ourlée, montants en délit sur bases et arc chantourné frappé d'une coquille, orné de guirlandes et chutes fleuries.
Sous comble, petites baies entre deux cordons larmiers, dont un formant corniche.
Le mur pignon gauche comporte trois travées de fenêtres semblables.
La façade arrière est greffée d'une annexe, alignant des fenêtres à linteau cintré sur montants monolithes sous un même demi-niveau qu'à l'avant. A hauteur du premier étage, à droite, une terrasse à balustrade est accessible par trois portes en plein cintre séparées par des pilastres néo-classiques. La toiture est à demi-croupes et coyaux, en ardoises.
Dans le prolongement à droite, une aile basse en léger retrait, c’est un  ancien jardin d'hiver construit sans doute au XIXe s., rythmé en façade par quatre arcades en plein cintre. Trois oculi aveugles sous la toiture à croupe, ponctuée de trois lucarnes et plantée d'un petit clocheton polygonal coiffé en dôme.
Face au corps de logis, refermant la cour, des dépendances en calcaire, également en style néo-classique, sont scandées en façade par une succession d'arcades en anse de panier et de fenêtres en plein cintre, reliées par un cordon cimenté à hauteur d'imposte. Un demi-niveau sur larmier est éclairé de petites fenêtres quadrangulaires alternant avec des oculi ornés de bustes à l'antique. La partie gauche des dépendances est en très léger retrait, présentant dans un parement en moellons apparents, deux mêmes arcades et une fenêtre à encadrement à claveaux. La toiture d'ardoises à croupes, est surmontée d'un imposant lanternon en briques, inspiré du modèle de pagode chinoise en vogue au XIXe siècle, servait de pigeonnier.



Léopold-Godefroid Nopère créa; un parc à l'anglaise, avec des fabriques aux réminiscences historiques,  on y voyait : un Neptune dans son char, traîné par deux chevaux avec jets d'eaux projetés par un griffon copié sur celui apporté d'Egypte et placé au Campo-Santo à Pise en 1080; le temple de Diane, imité de la villa Farnèse à Rome; le tombeau des Horaces et des Curiaces, semblable à celui qui se trouve à Albano; le tombeau de Ponce Pilate, avec grotte, élevé sur le bord du Rhône, à Vienne, en Dauphiné; la chapelle Guillaume Teil, sur le lac de Lucerne ;  Le temple d'Apollon dans une île, avec jet d'eau couronnant le toit; le tombeau de Virgile, pareil à celui qui. se trouve à Naples sur la Grotte de Pausilippe; la fontaine d’Egérie reproduisant celle qui se trouve à Rome; le pont du Diable, d’après celui qui est sur la Reuss au Saint-Gothard.
De tout cela, à l'heure actuelle, il ne reste que des vestiges épars.
Aux Nopère, succédaient la famille Pennart, puis la famille Blase, à la quelle succéda Julien Nonglaire, antiquaire à Paris, ensuite M. Neyrinckx, et enfin la famille du notaire Jean-Marie Debouche-Blackmans, auquel succéda son fils Gérard Debouche.

Il est à remarquer que vers 1830, les Nopère fournirent des pierres pour les bâtisses qui deviendront le palais royal de Bruxelles, les grilles formant l’entrée de la propriété  proviennent du parc de Bruxelles et portent des impacts de balles dus à la révolution belge de l’époque.
 
Maison de Wergifosse
 
Formant le coin de la place, un ensemble emmuré groupe autour d'une vaste cour divers bâtiments liés autrefois à l'exploitation des carrières.
Le long de la rue du Pont Scaron, l’habitation actuelle est distribuée dans trois immeubles contigus remontant aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ces volumes de deux niveaux en calcaire et brique, sont chacun sous bâtière d'éternit indépendante, les deux premiers plus aigus et à pignons débordants.
Le mur pignon et la façade sur jardin conservent plusieurs baies de type traditionnel : portes
à encadrement à congés et fenêtres jadis à croisée sous double arquette de décharge, la plupart modifiées ou remplacées aux XIXe et XXe s. La façade sur rue fut percée vraisemblablement au même moment de quelques baies quadrangulaires.
En retour, une courte grange en long de la 2e moitié du XVIIIe siècle, est bâtie en moellons de calcaire, avec portail en plein cintre à clé et montants harpés ouvert sur la cour et porte basse à plate bande échancrée à l'opposé.
En face, on voit ungrand hangar-chartil couvert d'une vaste bâtière de tuiles.
Ce fut la propriété de la famille Pennart jusqu’à la création de la société des carrières Saint-Georges, à qui elle fur donnée comme apport par Oscar Pennart.

Victor Henneau  (° Feluy 26-11-1857, y + 30-1-1942) reprit l’exploitation de la carrière Saint-Georges, il s'associa à d'autres personne et créa une société par commandite simple sous la raison sociale "Henneau et compagnie". Il habitait Place du Trichon, dans l'ancienne ferme des Pennart. I1 y  fit fonctionner des ateliers de taillerie.
Cette demeure appartient aujourd’hui à la famille de Wergifosse.
 
Ruelle du Trichon

Longeant la ruelle, alignement de maisonnettes ouvrières dont le gros œuvre remonte au XVIIIe siècle, portant des  baies tardives pour la plupart. Elles forment un contraste frappant avec les opulentes maisons de maîtres qui les entourent

 


 

Maison Dethier, n° 5.
 
 

Disposés autour d'une courette fermée par une grille entre piliers et colonnes doriques. Le corps d'habitation est bâti en L, remontant sans doute au XVIIe siècle, remanié en style néo-classique au cours du XIXe siècle,  et la dépendance basse est probablement aussi du XVIIIe, également transformée.
L‘ensemble ayant été tardivement divisé en plusieurs habitations, chacune évoluant de manière indépendante.
A gauche, volume haut et étroit, raidi de chaînes d'angle, quasi aveugle au mur pignon tourné vers la place du Trichon. Façade sur courette comptant deux niveaux et sept travées de fenêtres quadrangulaires de la fin du XIXe siècle, masquant quelques traces de baies de type traditionnel. La  porte du XVIII, s’ouvre par un plein cintre chantourné à clé en agrafe, inscrite dans un encadrement rectangulaire ourlé de moulures, sous corniche et écoinçons richement ornés de rocailles.
Le retour en L est plus large, présentant deux façades totalement différentes : l'une ouverte vers l'extérieur malencontreusement décapée et percée de baies récentes. L’autre, côté cour, enduite et conservant l'esprit néo-classique : au rez-de-chaussée, triple arcade en plein cintre; à l'étage, trois fenêtres à linteau droit sur montants monolithes de part et d'autre d'une baie murée du XVIIIe s. à encadrement mouluré à crossettes, mon- tants sur bases et linteau échancré.
Fermant le troisième côté, une aile basse entièrement cimentée aligne sur un niveau et demi des baies du XIXe s. dont à gauche deux arcades en plein cintre sur pilastres de pierre.
Vers 1930, cette demeure appartenait à Jacques Pennart, maître de carrière, elle passa par succession à son fils Oscar Pennart (cité vers 1860), au début du XXe siècle, c’est Norbert Carlier, rentier, qui y demeurait. C’est ensuite la famille Dethier qui possède  la maison, on trouve d’abord Lucien et son épouse Irma Verbert, maître de carrière, ensuite son fils Jacques, appareilleur et son frère Walter, représentant de commerce (cités de 1945 à 1972)
Lors d'une ducasse organisée en 1938, le premier dimanche d'août, on érigea le quartier en commune libre du Trichon, dont le mayeur portait sobriquet de « Couviche ».