A PROPOS DE LA PLATINERIE
DUPONT
Alain GRAUX
A l’occasion de la
demande d’établissement d’une forge pour la fabrication des fers battus, à
Feluy présentée par François-Isidore
Dupont, en 1810, plusieurs maîtres de forges formèrent une opposition motivée
sur ce que le nombre de ces établissements était déjà considérable , que
dans un rayon peu étendu il existait les forges suivantes : deux forges à
Morlanwelz, une à Haine-Saint-Paul, une à Marchienne-au-Pont, une à Grogniaux,
une à Aiseau, un fourneau à Hourpes et trois forges à Ways et Bousval. Les
opposants faisaient observer que ces usines employaient du fer affiné ou
mitraille, opération où le charbon de terre était employé, que les usines de
Morlanwelz, Marchienne et Grogniaux traitaient le fer de fonte ; qu’enfin
il y avait pénurie de bois et qu’il était généralement connu qu’une forge
consommait annuellement le produit de 40 hectares de bois[1].
Malgré cette
opposition, l’usine de François-Isidore Dupont[2]
fut autorisée par un décret de l’empereur Napoléon en date du 13 mars
1810 :
« Napoléon,
Empereur des Français, etc.
Art.1. Il est permis
au sieur François-Ysidore Dupont, négociant, demeurant commune de Feluy,
arrondissement de Jemappes, de construire une usine à battre et tirer le fer
dans ladite commune de Feluy, sur un terrain qui lui appartient, entre la
rivière de Samme et le ruisseau du petit
moulin.
2. Cette usine sera construite d’après les plans
d’élévation et profils vérifiés et certifiés par l’ingénieur en chef des mines ;
un duplicata de chacun desdits plans demeurera joint au présent décret.
3. Cette usine sera construite sur l’emplacement indiqué
au plan géométrique-certifié par l’ingénieur en chef des ponts et chaussées, et
dont un duplicata demeurera joint au présent décret.
4. Un bassin sera creusé à l’endroit marqué au dernier
plan de la lettre P. Deux barrages seront établis aux emplacements marqués
R.S. ; des digues seront élevées sur les bords du biais supérieur, pour
soutenir les eaux et préserver les propriétés riveraines, nommément celle du
sieur Dawanne (d’Awaigne) et Nicolas Capitti (Capitte), de
toute inondation.
Trois vannes d’un mètre trente centimètres de largeur
seront ménagées dans chacun des barrages marqués R.S. ; elles s’élèveront
de fond.
La jauge de six vannes de retenue et de la vanne d’abée
de l’usine est fixée à deux mètres au-dessus l’étiage de la Samme, à l’endroit
marqué T, où cette rivière reçoit les eaux du petit moulin.
Cette jauge sera réparée au moyen d’une pierre de taille
de trente centimètres de côté, et d’un mètre de queue engagée dans le corps du
bâtiment principal de la nouvelle usine, de quatre-vingts centimètres
environ , le dessus de ladite pierre sera mis d’affleurement avec le
dessus des vannes d’abée et de retenue.
5. Les dédommagements qui pourraient être dûs aux
propriétaires riverains seront réglés de gré à gré, ou à dire d’experts, et payés par le sieur
Dupont.
6. Il ne pourra être employé aux réparations de la
chaufferie et l’étirage que des combustibles minéraux.
7. Ne pourra le propriétaire, en aucun tems et sous aucun
prétexte, transformer cette usine, sans une nouvelle autorisation, sous peine
d’encourir la suppression, et de
répondre des dommages que sa contravention pourrait avoir occasionnés.
8. Le sieur Dupont tiendra son usine en bon état, et se
conformera, pour l’exploitation, aux lois et règlemens de police intervenus et
à intervenir sur les mines et usines, et aux instructions qui lui seront
données, à cet égard, par l’administration des mines ; il se conformera
pareillement aux règlemens existans ou à intervenir sur la police des cours
d’eau.
9. Il transmettra à l’administration des mines, tous les
trois mois, des états certifiés des produits de son usine, et l’état des
ouvriers y employés.
10. L’inexécution ou la contravention aux articles 2, 3,
4, 6 et 9, emporte de droit la déchéance de la présente autorisation, et ce,
indépendamment des dommages et intérêts
s’il y a lieu.
11. Dans le cas où le gouvernement jugerait convenable de
faire des dispositions pour l’avantage de la navigation, du commerce ou de
l’industrie sur la rivière la Samme, et où les dispositions nécessiteraient le
chômage et même la démolition entière de l’usine, le sieur Dupont sera tenu de
le souffrir sans pouvoir réclamer aucune indemnité ni dédommagement, même en
cas de démolition.
12. Notre ministre de l’Intérieur est chargé de
l’exécution du présent décret. ».
L’usine comportait
à ses débuts une forge et une platinerie[3].
F-I. Dupont savait
que l’établissement des laminoirs exigeait une force motrice importante, or sa
forge de Feluy-Arquennes n’ayant pas un cours d’eau assez fort, et le haut prix
où étaient alors les machines à vapeur, et n’ayant pas les moyens de s’en
offrir une, il résolut de trancher la difficulté en construisant lui-même la
machine à vapeur nécessaire. Il employa à ce travail des ouvriers de la
localité, fit fondre et forger les diverses pièces, et monta lui-même l’engin.
En 1830, F-I.
Dupont, obtint du conseil communal de Feluy l’autorisation de changer la
direction du chemin vers Bornival, vis-à-vis de son usine, située au hameau du
Petit-Moulin, à charge se construire et d’entretenir un pont sur la Samme près
de la Haute-Roquette ; les communes de Feluy et d’Arquennes payèrent
chacune cent francs dans la construction de ce pont[4]
Un arrêté du 15
juin 1835 permit de donner une extension à cet établissement
Le fils d’Isidore
Dupont, Emile Dupont[5],
maître de forge à Fayt, reprit l’exploitation, l’usine comprenait vers 1840,
quatre foyers de chaufferie, un four à réverbère[6]
et sept martinets[7]-[8].
Illustration du martinet dans le cours de mécanique de
Charles Delaunay, 1868
En 1850, des
inondations causèrent d’immenses dégâts, l’usine Dupont fut fortement touchée
occasionnant pour 3.000 Fr de frais de remise en état[1].
Le Pont construit
par F.I. Dupont et vestiges des vannes de retenue des eaux de la Samme pour
alimenter son usine
[1] WARZEE A., Exposé historique et statistique de l’industrie
métallurgique dans le Hainaut, Mons 1861, p. 113
[2] Dupont François-Isidore, ° Seneffe 24- mars 1780, † Fayt-lez-Seneffe
25 avril 1838, x Haine-Saint-Paul 1802, Silez Christine-Charlotte
[3] François-Isidore Dupont avait eu l’intention d’établir deux hauts
fourneaux à Seneffe ; mais sur sa
demande, l’arrêt de permission daté du 27 août 1837, fut rapporté par un autre
arrêté du 11 mai 1840.
[4] STROOBANT C., Histoire de la commune de Feluy, p. 498, tiré des
archives de la commune de Feluy.
[5] Dupont Emile,-Joseph, ° Fayt-lez-Seneffe 17 février 1809, y † 3 avril 1875, x Namur 1808, Borgnet
Pauline, ° Namur 17 octobre 1808
[6] Un four à réverbère est un four où la chaleur est réfléchie (réverbérée) par la voûte
du four. Dans ce type de four, le combustible (charbon.) est brûlé dans une
chambre différente de celle des matières traitées. Ainsi, on limite les
interactions indésirables entre la combustion et les matières à traiter.
[7] Dans l'industrie,
un martinet est une machine conçue pour utiliser l'énergie hydraulique aux travaux de forgeage]. Il est constitué d'un lourd marteau,
qui vient tomber sur une enclume ou un tas. Le marteau est emmanché sur un
levier oscillant autour d'un axe horizontal. Ce marteau est mis en mouvement
par des cames portées par un arbre horizontal qui vient appuyer sur
l'extrémité libre du levier à chaque tour de l'arbre, et le laisse retomber en
se dégageant. L'arbre à cames est entraîné par une roue
hydraulique verticale. Le fonctionnement est très irrégulier, aussi les
cames sont-elles souvent insérées sur un arbre moteur très lourd ou entre deux volants.
Pour augmenter le rythme de travail, l'amplitude de débattement du marteau est
diminuée par des ressorts très rigides, une poutre en bois sur les plus anciens
(gravure ci-dessous), puis des ressorts métalliques sur les modèles plus
récents. Cela permet d'augmenter le nombre de cames. La vitesse de l'arbre est
régulée par la variation du débit de la chute d'eau qui fait tourner la roue.
[8] WARZEE A, Exposé historique et
statistique de l’industrie métallurgique dans le Hainaut, p.111, dans
Mémoires et publications de la Société des Sciences, des Arts et des lettres du
Hainaut, IIe série, t.8, 1862-1863