Le
pont tournant et la passerelle d’Arquennes [1909 - E]
(Braham Marc, juin 2020)
J’adresse
de vifs remerciements à MM. Alain Graux et Michel Gailly, de la « Maison de la
Mémoire » de Seneffe, pour l’aide apportée lors de la préparation du document
présent. Un grand merci aussi à M. Michel Ameryckx pour son aide et ses
souvenirs.
Le
pont tournant
Localisation : Arquennes (province du Hainaut,
commune de Seneffe). 50°34’00.90" N, 04°16’27.99" E.
Construction : 1909-1910 (inauguration en 19106
?).
État actuel : détruit en mai 1940, remplacé par
un pont similaire en 1942, puis à nouveau remplacé, par l’actuel, identique à
celui de 1942, en 2012-2013 (inauguration le 6 décembre 20131, p. 128 ; 6).
Gestionnaire : Ministère des Travaux Publics,
Direction des Voies hydrauliques de Charleroi.
Constructeur : très probablement Cockerill2, p. 214 ; 5, p.70 pour le 1er pont,
inconnu pour le 2ième, Baeck et Jansen (Balen) pour le 3ième.
Bureau d’études : Cockerill (?)pour le 1er pont, inconnu pour le
2ième, Arcade Concept engineering (Lokeren) pour le 3ième.
Utilité :
Franchissement du canal de 300 t de Charleroi à Bruxelles.
Type
de pont : Pont à 2 poutres longerons de hauteur variable et traverses
(longrines en sus pour le 3ième pont).
Description en long : Longueur 19,10 m pour les
3 ponts.
Description en large : Largeur de 4,50 m pour les
2 premiers ponts (2 trottoirs de 0,95 + 2,60) et 5,50 m pour le 3ième
(2 trottoirs de 1.25 + 3,00).
La
passerelle
Localisation : voir le pont tournant.
Construction : entre 1907 et 1909 (ouverture en 19087 ?; inauguration en
19106 ?).
État actuel : passerelle originale toujours en place, restaurée en 20122013 (inauguration le 6 décembre 20131, p. 128 ; 6).
Constructeur
: inconnu pour la passerelle originale, Baeck et Jansen
(Balen) pour la restauration.
Bureau
d’études : inconnu pour la passerelle originale, Arcade Concept engineering (Lokeren) pour la restauration.
Type
d’ouvrage : pont de type Bowstring, le tablier se trouvant à une
hauteur intermédiaire dans l’arc.
Description en long :
longueur totale 31,65 m ; 24,0 m pour la plate-forme.
Description en large : entraxe des arcs 2,0 m, largeur utile entre les garde-corps 1,70 m env.

Fig. 2 : La passerelle d’Arquennes (et le pont en dessous) (photo Marc Braham, juin 2020) |
On
trouve en effet dans une certaine littérature (disons « touristique »)
l’information selon laquelle ces deux constructions dateraient de 1832. C’est
en effet en 1832 qu’est inauguré le canal de Charleroi à Bruxelles, le premier
canal, celui à 70 tonnes. Mais la construction du « couple » en question n’a
été envisagée que lorsqu’il s’est agi de passer le canal de 70 à 300 tonnes, et
encore, seulement lorsque le tronçon de canal comprenant Arquennes a été
élargi, c’est-à-dire au début du XXe siècle3 (années
1900, 1910). Dans d’autres documents, le Ministère de l’Équipement et des
Transports2,5 fait remonter les deux ouvrages à 1888-1889. Ici c’est
probablement une confusion avec le pont tournant et la passerelle de Seneffe -
pont qui était semble-t-il identique à celui d’Arquennes et passerelle qui
offrait quelque similitude avec celle d’Arquennes - qui ont effectivement été
construits à ce moment, à la fin du XIXe, en même temps que la
portion de canal située juste en « amont », entre Seneffe et Arquennes4.
Nos passons sous silence un ouvrage connu, qui parle de 1885 !
Le pont tournant a été construit en
1909-1910, la presse d’époque en atteste3. Pour la passerelle, il
existe une toute petite incertitude quant à l’année exacte de sa construction,
mais on observe que ses plans originaux7 sont munis de diverses
approbations datées de 1906 et 1907, et de plus on peut y lire l’inscription
suivante (fig. 3) :
Fig. 3 :
En-tête du plan (1906-1907) relatif à la Fig.
4 : En-tête du plan (1906-1907) relatif au pont
passerelle originale
tournant original
(extraits des plans des archives du Service Public de Wallonie, banque
de données des ouvrages d’art7)
C’est on ne
peut plus clair, il est dit, en 1906-1907 donc, que la passerelle doit être « accolée au pont tournant » qui est « à établir » ; ce pont n’est en effet pas
encore établi, il le sera en 1909, on vient de le voir, et les deux ouvrages
auraient été ouverts à la circulation (ou inaugurés ?) en 19101 (p.127),6.
La passerelle a donc été construite entre 1907 et 1910.
Il n’est d’ailleurs pas impossible que la passerelle ait été construite
peu avant le pont tournant : le SPW7 donne 1908 comme date
d’ouverture. C’est tout à fait vraisemblable si l’on sait que de nombreux
ouvriers devaient franchir matin et soir le canal pour se rendre à la gare de
Feluy ou en revenir, et qu’ils s’étaient inquiétés des retards que pourrait
engendrer un pont qui s’ouvre et se ferme au gré d’un trafic, intense, sur le
canal.
Pour être
complet, nous reproduisons aussi l’inscription qui se trouve en en-tête du plan
original du pont tournant (fig. 4). Il est intéressant de noter que ces deux
inscriptions (fig. 3 et 4) indiquent que pont et passerelle vont remplacer un « pont fixe » qui existait jusque-là sur
le canal à 70 tonnes, « sur la tête aval
de l’écluse no 25 ». Une carte postale (fig. 5) montre d’ailleurs ce pont,
et l’écluse no 25 qui lui était accolée (détail peu visible mais
certifié).
Faisons une parenthèse pour dire l’activité qui régnait ici à cette époque, et expliquer la nécessité qu’il y avait de construire cette passerelle en plus du pont tournant. C’est qu’un pont tournant édifié seul aurait interrompu, et retardé à chaque ouverture le passage des nombreux travailleurs circulant dans cette région, notamment les ouvriers des carrières toutes proches.
Fig. 5 : Le pont fixe prédécesseur du pont mobile ;
le côté aval du sas de l’écluse no 251 (détail d’une carte postale ; SBP, Bruxelles)

Il existait également des ponts levis sur le canal et ses embranchements, mais ce type de pont était limité en portée, et ainsi il ne permettait le passage que d’un bateau à la fois, obligeant ceux venant en sens inverse à s’arrêter et attendre leur tour. Le pont tournant avec pivot au milieu du canal, plus long donc, présentait l’avantage d’ouvrir simultanément deux passes, ce qui permettait un trafic plus fluide en rivière, mais réduisait aussi les temps d’interruption du trafic routier. Le canal à 300 t, plus large évidemment que celui à 70 t, comptait jadis 5 ponts tournants, 3 à Seneffe, 1 à Arquennes et le dernier sur la branche de La Louvière1. Ce type de pont était très facilement manœuvrable car il posait tout entier sur un pivot unique placé en son centre ; son centre de gravité se trouvant plus bas que le point d’appui, il se trouvait ainsi en équilibre autostable (fig. 6). La manœuvre s’effectuait alors au moyen d’une manivelle actionnée au centre du pont par le gardien (fig. 6). Les documents du MET2,p.214 ; 5,p.70 indiquent que ce type de pont était « usiné en série chez John Cockerill à Seraing ».Fig. 6 : le pont tournant de Strepy (cliché emprunté au Cahier du MET, no 125)

Sa structure, intégralement rivetée, comprend
essentiellement deux poutres longitudinales (longerons) de 19,10 m de longueur
faites de plats et de cornières, de hauteur variant de 0,79 à 0,95 m (valeurs
arrondies). L’âme de ces poutres est du type lattis (fig. 7 & 9),
c’est-à-dire des plats entrecroisés à claire voie. Les traverses ont une
hauteur de 0,30 m, sauf celles qui supportent des instruments de manœuvre : les
deux traverses centrales ont une hauteur de 0,79 m, les extrêmes 0,495 m (fig.
8). Un contreventement fait de profils en C disposés en croix de Saint-André
est logé en partie basse de l’ouvrage.
La largeur totale du pont est
de 4,50 m (fig. 8), comprenant une voie charretière de 2,60 m et deux trottoirs
d’un peu moins de 0,95 m. Le plancher est fait de madriers longitudinaux en
chêne, recouverts de planches en aloès (plans SPW7).
Fig. 7 : Élévation
du pont tournant et de la passerelle, situation originale (document du SPW
Liège7)
La passerelle de 1910
La passerelle est également un ouvrage entièrement riveté. C’est un pont
de type Bowstring, mais assez particulier puisque le tablier qui
reprend par traction les poussées des arcs se trouve à mi-hauteur. Sa longueur
totale, son emprise au sol, est de 31,65 m. La longueur de la partie en balcon
est de 24,15 m. La hauteur totale de l’ouvrage est de 6,0 m et le balcon se
trouve à une hauteur de 2,65 m. Le tirant d’air est de 4,20 m environ
Fig. 8 : Coupe transversale du pont original, près des appuis
extérieurs (extrait des documents du SPW Liège7)
Retour
à l’Histoire
Autant que
l‘on sache, ces deux ouvrages n’ont pas eu à souffrir de la première guerre
mondiale.
Par contre le pont tournant a été
dynamité par le génie français le 16 mai 19401, dans le but de
ralentir la progression de l’envahisseur allemand. La passerelle ne semble pas
avoir subi le même sort, bien qu’elle ait permis le passage de troupes même si
c’était sans véhicule.
Le pont
tournant est reconstruit dès 1941-1942 (les plans7 sont signés par
les responsables des Ponts et Chaussées en mai 1941). Le pont reste du même
type que celui de 1906, mais la plupart de ses dimensions sont modifiées (pas
la longueur). Tout d’abord, la chaussée est élargie à 3,00 m, mais la largeur
totale reste 4,50 m ; ce sont les trottoirs qui en pâtissent. La hauteur des
longerons varie maintenant de 0,67 m à 0,95. Les traverses ont une hauteur de
0,45 m, sauf pour les deux traverses centrales, support des mécanismes, qui ont
une hauteur de 0,73 m.
Au niveau de l’aspect du pont, une
différence importante toutefois : les longerons n’ont plus une âme en lattis
(fig. 9), mais une âme pleine (fig. 10). L’aspect en est totalement modifié,
mais pas nécessairement en mal.
(détail
d’une carte postale) (photo récente, empruntée à l’office du
tourisme de Seneffe)
Des travaux de restauration, dont la
nature nous est cependant inconnue, sont entrepris en 19945. Il y a
aussi eu, au début des années 1990 voire déjà avant, une proposition de
Dambrain2,5, ingénieur principal à la direction des voies
hydrauliques, consistant à déplacer le vieux pont vers Seneffe, pour y
remplacer le pont tournant du centre du village mis à la ferraille en 1968. Ces
deux ponts étaient semble-t-il interchangeables ; identiques sûrement pas
puisqu’à Arquennes le pont de 1942 différait sensiblement de l’original de
1910. Mais les dimensions restaient compatibles, résultat de la standardisation
Cockerill probablement2. Le vieux pont tournant d’Arquennes aurait
alors été remplacé par un nouvel ouvrage, plus conventionnel, sans rapport
probablement avec le précédent.
La proposition de Dambrain n’a pas été retenue : c’est
bien sûr un nouveau pont qui sera construit en 20122013 (les plans7
sont datés de 2012), mais il ressemble en tout point à son prédécesseur, à ceci
près du moins qu’il ne tourne pas. Il n’est pas mobile. En réalité le
prédécesseur en question ne tournait déjà plus depuis pas mal de temps puisque
Sterling, Inspecteur général des Ponts et Chaussées honoraire déjà cité
plusieurs fois, mentionnait déjà en 20012, p.214 que le pont était
fixe, on ne le manœuvrait plus ; mais depuis quand ? Une autre caractéristique
intéressante du nouveau pont est que ses parties visibles sont rivetées, comme
pour le prédécesseur, mais les parties cachées sont soudées ou boulonnées1.
L’entreprise en charge des travaux était les ateliers Baeck
et Jansen de Balen.
Fig. 11 : Coupes transversales du tablier du pont de 2013
(extrait des documents du SPW Liège)
La passerelle quant à elle
est démontée dès 2009 d’après Maigre1, deux ou trois années plus
tard d’après d’autres (les plans7 sont datés de 2009). Tous ses
éléments sont transportés en atelier, les ateliers Baeck et Jansen de Balen, pour y être restaurés. Certaines parties, trop
abîmées, sont simplement remplacées, d’autres sont nettoyées, restaurées, le
tout traité. Tout est riveté comme dans la structure originale. La figure 11
donne une idée de l’ampleur des travaux (les zones colorées sont les parties qui
ont été remplacées).
Les deux nouveaux ouvrages sont inaugurés conjointement le 6 décembre
20131,6. Depuis, ils remplissent leur fonction à la satisfaction
générale.
Fig.
10 : Identification des parties de la passerelle qui ont été remplacées
(restauration de 1013) (extraits des plans des
archives
du Service Public de Wallonie, banque de données des ouvrages d’art7)
1.
Maigre Michel : Le canal Charleroi - Bruxelles. Une voie d’eau pour le
charbon. Chez Noir Dessin, éditeur à Liège. 2018.
2.
Sterling et Dambrain ; Le Canal de Charleroi à Bruxelles. Éditions du
MET, collection Traces. 2001.
3.
Le Courrier de l’Escaut. Quotidien. Édition du 12 juin 1909.
4. Le Journal de Bruxelles. Édition du 18 avril 1899.
5.
Ministère wallon
de l’Équipement et des Transports (MET). La
Wallonie sur le pont des techniques. Les cahiers du MET, No 12.
Décembre 1994.
6.
Wacquez Th. : Arquennes aime son
pont classé. Interview de M. Ameryckx. Nouvelle
gazette du 7 décembre 2013.
7.
Service Public de Wallonie. Mobilité Infrastructure. Liège. banque de
données des ouvrages d’art.
8. https://fr.wikipedia.org/wiki/ListedupatrimoineimmobilierclassédeSeneffe
ANNEXE : iconographie supplémentaire
Remarquer que les trottoirs ne sont pas encore présents)
Mise en place du tablier du nouveau Pont tournant (2011-2012)