A PROPOS DE L’ASSASSINAT DE
SAINT-FEUILLIEN
Transcrit par M. Pierre Fils
Selon l’esprit de son temps
nous livrons ici un texte concernant la mort de Saint-Feuillien :
Ce texte est extrait du livre "Légende des commandements de Dieu - J. Collin du Plancy" -
Paris - Paul Mellier, libraire éditeur.
« "L'expiation est la source du crime
aussi exactement quelques fois que le jour est la suite de la nuit" -
Philou.
Et vous vous
étonnez, bonnes gens de Seneffe, de vous voir encore disséminés, commune
écartelée en sept ou huit hameaux, au lieu, de vous pavaner riante petite ville
agglomérée dans votre beau site du Hainaut pittoresque ? Mais vous oubliez
donc ce que vos pères ont Laissé ? Un crime s’est commis chez vous :
Qu’avez-vous fait pour l’expier ? Un forfait qui a troublé ces mêmes
sentiers où vous vous promenez insouciants (dans) vos rêveries eut lieu en
l’année 655. Il y a longtemps de cela [1].
Mais il faut de
longs parfums de vertu pour enlever tout à fait les vapeurs empestées des
mauvaises actions.
Le jeune roi Clovis
II venait de mourir, et Bathilde, cette douce et pieuse reine, que ses vertus
avaient tirées de sa condition d’esclave pour la placer sur le trône, allait
gouverner comme régente, elle ne cherchait que Dieu et la solitude.
Clotaire III et
Chilpéric II, ses fils, étaient encore enfants.
C’était donc le 31
octobre 655.
Un homme de Dieu,
venu d’Irlande pour apporter la foi chez nos pères, menant dans nos sauvages
contrées la dure vie de missionnaire, offrant partout la paix, le salut et les
discours qui consolent, recevant les grossières injures, les hideuses menaces
et les mauvais traitements, parcourant un pays où déjà son frère Fursy avait
trouvé la mort, foulant une terre que le sang de plus d’un martyr avait déjà
arrosée et marchant parmi les hommes, avec plus de périls que le voyageur sans
armes dans les forêts où habitent le tigre et la panthère. Seulement (quelques)
monastères s’étant élevés en certains lieux ; il y avait çà et là quelques
gîtes où il rencontrait des Frères.
Cet homme était de sang illustre[2]-[3], on dit même que le souverain pontife lui avait conféré la dignité d’évêque.
Les Bollandistes
nous ont conservé la touchante histoire de son origine :
Au temps où
régnaient dans les Gaules les petits enfants de Clovis, il y avait en Irlande
un roi qui se nommait Finnloga. Le pieux évêque Breudan était son frère. Aedin,
un des rois de l’Ecosse, avait une fille merveilleusement belle, qui avait nom
Gelgès, et qui était chrétienne en secret. Le fils du roi Finnloga en devint
épris et l’épousa devant les autels. Ma mère seule de la princesse avait permis
cette union qu’il fallut cacher au roi Aedin, implacable ennemi de la foi, mais
il en fut bientôt informé ; il fit saisir sa fille et la condamna à être
brûlée vive. Prières et supplications ne purent l’attendrir. Envain, ses
proches parents et les plus vénérés personnages lui représentèrent que l’homme
ne pouvait séparer ce que Dieu avait uni. Il fit apprêter le bûcher.
Alors, soit que la
bonté du ciel eût fait un miracle, soit que par une cause naturelle qui n’est
pas expliquée, la triste Gergès n’eut pas plutôt mis le pied sur les tisons
enflammés qu’ils s’éteignirent. Son père ne fut pas touché par cette merveille,
cependant on obtint de lui la vie de sa fille qu’il condamna à un exil
perpétuel. Elle se retira avec son époux chez le bon évêque Breudan et dona le
jour dans l’exil à trois fils : Fursyn Foillan et Ultan. Ils étaient déjà
grands lorsque, leur grand-père Finnlogan étant mort, ils virent leur père
élevé au trône
Au lieu de le
suivre dans les grandeurs, instruits par Breudan, ils résolurent de se
consacrer entièrement au service de Dieu, et ils s’embarquèrent pour les Gaules » [4].
Nous avons déjà dit
que Fursy avait atteint le but de ses travaux. Foillan, le second frère, se
disposait le 31 octobre 655, à partir pour Nivelles, où il avait pris un peu de
repos. Depuis trois ans que la vertueuse Iduberge, épouse de pépin de Landen
était morte dans le monastère de Nivelles qu’elle avait fondé, c’était sa fille
Gertrude qui en était abbesse. Elle-même, bientôt, si jeune encore, allait
passer à la vie éternelle.
Gertrude et sa mère
avaient donné à Foillan, en 633, le domaine de Fosses où il y avait fondé
une église et un monastère. La tour bâtie par lui n’a pas encore disparu.
Avant d’aller
rejoindre son frère Ultan au monastère de Fosses dont il avait la conduite,
Foillan[5]
voulait célébrer la fête de tous les saints avec le bienheureux Vincent
Maldegher, son ami. Il se remit en route, il prit à travers les clairières qui
couvraient le pays, le chemin de Soignies où il devait trouver l’hospitalité de
la nuit dans le monastère de Vincent. Il marchait, la prière à la bouche et al
prière au cœur. Après qu’il se fut avancé dans des sentiers capricieux, à peine
tracés, où il ne rencontra que le désert et le silence, il aperçut enfin
quelques habitations humaines, des toits de chaume, des huttes de bûcherons,
des métairies, c’était Seneffe.
Ce pays s’appelle
Seneffe, vu que la Senne y fait une esse. Cette petite rivière toutefois n’y
fait qu’une esse à présent que pour s’en éloigner, nous aimons mieux nous
appuyer de la légende de saint Foillan, qui appelle ce lieu Soneffe[6] :
parce qu’il était, ainsi que Soignies, dans la forêt de Soigne, dont le nom
celtique ou flamand est dû au soleil, qu’on y adorait[7].
En arrivant à
Soneffe ou Seneffe, Foillan, qui s’était un peu égaré, voyant qu’il se faisait
tard et qu’il avait à peine achevé la moitié de sa route, entra dans une
chaumière et y demanda des guides. Les mines effroyables et les regards
farouches des sauvages habitants de la cabane eussent troublé tout autre que le
missionnaire, mais comme cette glace des contes orientaux, qui ne réfléchissait
pas les objets informes, le cœur d’un saint ne peut soupçonner le mal.
Moyennant un salaire
convenu, deux guides s’offrirent pour conduire Foillan. Sur un signe qu’ils
firent à deux autres de leurs robustes compagnons, ceux-ci les accompagnèrent
encore, et la nuit venait, une de ces
nuits tristes et brumeuses qui signalent novembre.
De temps en temps,
par le chemin âpre et inégal, Foillan parlait à ses guides, qui lui répondaient
peu. Il reconnut vite qu’ils étaient encore païens et il soupira. Il les
entretenait doucement de Dieu, de sa bonté et de sa clémence, de sa mansuétude,
de sa miséricorde, des récompenses éternelles qu’il réserve surtout à ceux qui
ont souffert, il leur montrait ses bras paternels toujours ouverts aux pauvres
humains, il disait quelques paroles pénétrantes de l’immense sacrifice de la
croix. Pour toute réponse, il n’obtenait que des grognements inexplicables qui
lui tombaient tellement sur le cœur. Il se taisait alors, il priait pour ces
pauvres gens, puis il reprenait encore son doux langage. C’était alors comme
dit le bienheureux Denis le Chartreux, répandre du lait dans le marécage ou du
miel dans un monceau de cendres.
Le saint arriva
avec ses guides en un lieu de la forêt où était adorée une idole stupide et
vaine – selon les uns Appolon ; Theutalès selon les autres, - Thor,
peut-être.
Là, soit que ces
hommes à qui Foillan donnait la lumière, aient voulu le contraindre à sacrifier
comme eux aux ténèbres, soit qu’ils n’aient songé qu’à le dépouiller[8],
se jetèrent sur lui, l’assommèrent de leurs bâtons et, insensibles à cette voix
qui s’éteignait en priant pour eux, ils laissèrent le corps inanimé et
reprirent le chemin de leurs tanières.
La nuit se fit tout
à coup plus froide et plus rude, un vent violent se mit à hurler dans les vieux
arbres, une grêle furieuse poursuivit les assassins qui se jetèrent sans remords
sur la paille de leur couche grossière. L’hiver, accélérant sa marche, venait
d’éclater avec rigueur. Le lendemain matin, une neige épaisse, qui pendant
trois mois ne devait pas fondre, couvrit la terre de cette contrée, novembre et
décembre passèrent sans qu’on revît le soleil.
Cependant les
compagnons de Foillan s’inquiétaient de son absence prolongée. On était troublé
de ne point l’avoir vu aux fêtes de noël qu’il célébrait ordinairement à
Fosses. Sa disparition effrayait les monastères. Ultan, comme il était en
prière, répétant tristement le nom de son frère chéri, vit passer une colombe
blanche comme la neige, mais dont les ailes étaient rougies d’un sang fluide.
Une vision semblable
frappa Gertrude, et le 15 janvier 656, un avis fut donné à la pieuse abbesse,
dans sa cellule de Nivelles, qu’en un lieu de la forêt de Soigne la neige était
rouge. Le lendemain 16, la sainte s’y rendit, guidée par une vapeur sanglante
qui se voyait de loin, et qui montait comme une colonne diaphane du lieu où
reposait le martyr, jusqu’au ciel.
On découvrit le
corps de Foillan. Il fut porté en pompe à Nivelles, où l’on voulait le
posséder, mais Ultan désirait qu’il soit enterré à Fosses, comme il l’avait
demandé souvent. Pour gagner ce monastère, il fallait traverser la Sambre,
alors débordée par le dégel subit. On raconte que Gertrude ordonna de laisser
libres les chevaux qui conduisaient le cercueil et qu’ils passèrent, suivis de
la foule, dans le lieu qu’on a toujours appelé depuis le gué de sainte Gertrude.
Les habitants du
canton où le corps du martyr était resté abandonné soixante-dix-huit jours,
élevèrent sur le lieu même une chapelle qui devint par la suite une très belle
église, à laquelle se joignit en 1125 une abbaye de Prémontrés.
La couleur de la
neige qui avait révélé le lieu du crime avait donné à ce lieu le nom de Rood
(rouge), dans les titres latins : Rodius, c’est le Rœulx, importante
seigneurie du Moyen-âge, aujourd’hui encore jolie petite ville.
Vous vous excuserez
peut-être gens de Seneffe, en vous appuyant du texte de quelque légendaires
qui, ne chargeant pas spécialement les gens de vos cabanes, se bornent à conter
que le bon saint, à un carrefour de votre territoire, rencontra des brigands
qui l’assassinèrent.
Mais quoi qu’on ne
dise pas duquel de vos hameaux sont sortis les félons, prenez-en tous la sombre
responsabilité.
Si vous avez expié,
expiez encore, où vous resterez disloqués en hameaux, entre le Rœulx, Nivelles
et Soignies, devenus des villes.
Quant à vos quatre
assassins infâmes, ne cherchez ni leurs huttes, ni leur descendance. Leurs
huttes ont disparus, leur descendance est éteinte ; Dieu règne et
gouverne, et la race des méchants est vite arrachée. On vous citera d’honnêtes
familles qui ont dix siècles de généalogie et qui remonteraient plus haut, si
elles avaient gardé leurs titres. Mais vous ne trouverez nulle part (plus de)
trois générations de coquins. C’est à y songer un peu ».
[1] « Nos
nobiles, cœnobiorum opes ad nos trasimus. Nunc opes nostras equestres illæ
comederunt, et comsumpser unt hæ cœnobiales, ut ne que cœnobiales neque
equestres amptius habeamus » (cité par Feller, p.2).
[2] « Sed longe animo quam
cerne mobilitor » (Corn. De Smet, dans Ghesquière).
[3] Corneille de Smet, Joseph
Ghesquière et Isfr. Thijs, Acta Sanctorum Belgii selecta (antérieurs
à 729). Bruxelles et Tongres, 1783-1794,
6 vol. in 4°
[4] Manuscrit Rubas Vallis, dans Ghesquière. Joseph
Ghesquière, est un jésuite, numismate et érudit belge,
historiographe de l’empereur d’Allemagne, né à Courtrai en
1731 et mort en 1802. Il fut admis parmi les bollandistes en 1762 et prit une part
active à la continuation de leur œuvre.
[5] Dans les légendes latines Foillanus, quelques fois Foillianus ;
dans les vieux écrivains français : Foignan. Les villageois l’appellent
saint Feuillien.
[6] Sonefia ; - et dans une charte de Burchard, évêque de
Cambrai, 1182, Senophia
[7] Zon-Bosch, bois du soleil
[8] Quamvis ex fidel catholicæ odio trucidam nemo nos doceat (Corneille De Smet, dans Ghesquière)