jeudi 25 mars 2010

La Cartonnerie de Feluy-Arquennes

LES AVATARS D’UNE USINE DE FELUY

1° LA SUCRERIE

Le 29 juillet 1872, Emile Vanden Dooren, maître de carrière de Feluy, fait part à l'administration communale de son intention d'installer une fabrique de sucre à betteraves au Pont à Brebis à Feluy. L'endroit est bien situé, au milieu d'une région agricole riche en limon et prometteuse pour la culture de la betterave que ni cessera d’augmenter.
L'usine longeait le canal allant de Charleroi à Bruxelles qui lui offrait une excellente voie de communication pour le transport de betteraves et de produits finis, de plus les eaux du canal permettaient le lavage des betteraves et l'alimentation des installations de refroidissement de l'usine. De plus, la gare du chemin de fer se trouvait à 200 mètres de là.
Le 29 septembre 1872 eut lieu la réunion de constitution d'une société anonyme chez le notaire Doumont à Feluy, y étaient présents :
- Madame Joséphine PECHE, veuve de Romain Puissant, propriétaire à Saint-Josse-ten-Noode.
- Monsieur Albert PUISSANT, mernbre de la Chambre des Représentants, industriel à Merbes-le-Château.
- Monsieur Jules PUISSANT, industriel à Merbes-le-Château.
- Madame Maria PUISSANT, veuve Jules Barbier, propriétaire à Saint-Josse-ten-Noode
- Monsieur Maximilien MOTTE, Conseiller à la Cour d'Appel de Bruxelles demeurant à Saint-Gilles.
- Monsieur Emile VANDEN DOOREN, industriel à Feluy.
- Monsieur Victor PENNART-MASSART, industriel demeurant à Battignies, en son nom personnel et au     nom d'Hypolyte HECQ demeurant à Waudrez.
- Monsieur Paul TIBERGHIEN, propriétaire à Seneffe, en son nom et au nom d'Edouard de HAUSSY, propriétaire à Seneffe.
La société anonyme fut dénommée SUCRERIE DE FELUY-ARQUENNES
Le siège fut établi à Feluy. Le capital est formé de 600 actions pour un montant de 720.000 francs.
Mmes. Vve. Puissant, Vve. Barbier; Mrs Albert Puissant, Jules Puissant, Emile Vanden Dooren et Victor Pennart apportèrent à la société :

l) Un terrain sis à Feluy et Arquennes au lieu dit « Pont à Brebis » contenant 4ha, 5a, 65 ca, tenant au chemin de fer des carrières de Feluy, à Mme Demesse, à Mme Lescart, au canal de Charleroi à Bruxelles, leur appartenant par actes passés devant le notaire Castelain à Seneffe les l2-4-l871, le 17-4-l87l et le 29-8-1871; suite au décès de Romain Puissant époux de Joséphine Pecher et père de Mme Barbier et d'Albert et Jules Puissant.


















2) L'ensemble des Comparants fait apport de l'usine établie sur ce terrain, comprenant deux grands corps de bâtiments, appendances et dépendances et ustensiles fixes de fabrication consistant en quatre générateurs de 80 CV chacun, cinq machines à vapeur, une transmission générale des mouvements, deux lavoirs, une râpe double, quatre pelleteurs, quatre tables tournantes, huit presses, neuf monte-jus, deux chaudières de jauge, sept bacs à carbonater, sept bacs à décanter, huit filtres clos, cinq filtres presse, deux appareils à évaporer avec condensateurs, quatre turbines, un moulin à sucre, septante cinq bacs de tôle, trois fours à cuire les os, un moulin à broyer les os, deux fours à revivifier le noir, deux macérateurs, deux fours à chaux, un lavoir et deux récipients à gaz carbonique, trois calorifères, deux fours à gaz d'éclairage avec laveur-récipient et cloches, deux bascules. En outre, ils apportent la somme de 60.000 frs.
Ces apports sont fait sous garantie de droit; sauf une inscription hypothécaire de 3.850 Frs en faveur du mineur Alexandre Paternotte et d'une autre de 8 000 frs en faveur des mineurs Nopère.

Le conseil d'administration fut établi comme suit :
Administrateur Général : Emile Vanden Dooren
Administrateurs : Jules Puissant, Albert Puissant, Victor Pennart et Paul Tiberghien

Commisaires: Maximilien Motte, Edouard de Haussy, Hypolyte Hecq.

La sucrerie entra en activité en 1876. Emile Vanden Dooren dirigea l'entreprise seul jusqu'en mars 1878, il s'adjoint un directeur en la personne d'Alphonse Béroudiaux qui était auparavant receveur communal et instituteur en chef à Arquennes.

Le recensement industriel de 1880 nous apprend que la firme occupait 2 employés et 68 ouvriers. On y fabriquait 320.000 kg de sucre pour un chiffre d'affaire (C.A.) de 304.000 frs; 150.000 kg de mélasse (15.000 frs de C.A.) et 1.800.000 kg de produits divers (49.500 frs de C.A.).

Le 26 avril 1887, une assemblée générale des actionnaires redistribue la répartition des voix au conseil d'administration comme suit :
Albert Puissant , 50 actions donnant droit à 5 voix
Victor Pennart, 95 actions donnant droit à 9 voix
M. Tiberghien, 75 actions donnant droit à 7 voix
Emile Vanden Dooren, 100 actions donnant droit à 10 voix
Edouard de Haussy, 25 actions donnant droit à 2 voix
Maximilien Motte, 20 actions donnant droit à 2 voix
Warnant, 20 actions donnant droit à 2 voix
Dufour Edouard, 10 actions donnant droit à 1voix
Mme Dufour Maria, 145 actions donnant droit à 14 voix

Le25 janvier 1890, Emile Vanden Dooren sollicite l'autorisation d'installer un générateur horizontal et une machine à vapeur de 5 CV pour la traction des wagons. Le collège échevinal lui accorde l'autorisation le 20-02-1890. De même la S.A. des Sucreries de Feluy-Arquennes demande le 29 septembre 1893 l'autorisation d'implanter des appareils supplémentaires :
a) un système mécanique horizontal de pompe à eau à traction directe,
b) une machine à vapeur de 4 CV pour donner mouvement à deux systèmes de pompes à écumer, jumelles;
c) un système mécanique horizontal de pompe à air pour le 2ème appareil à cuire dans le vide;
d) une machine à vapeur horizontale pour actionner une dynamo à 963 tours"
e) une machine à balancier commandant six pompes à pistons plongeurs conjuguées deux à deux pour trois services.
Tous ces appareils sont annexés et chauffés par les générateurs.
 Le 7 juillet 1898 la direction de l'usine demande encore l'autorisation de pouvoir installer dans sa fabrique et dans la salle réservée aux machines d'alimentation des générateurs
a) une pompe de 6 CV pour alimenter les générateurs;
b) une pompe de 12 CV pour pouvoir envoyer l'eau froide aux appareils d'évaporation.
L'administration communale autorise ces nouvelles installations le 24 juillet 1898.
La concurrence de sucreries plus importantes telles celles de Genappe et de Marche compromit l'expansion de l'usine de Feluy qui vit son chiffre d'affaire baisser d'année en année.

Le bilan du 30 avril 1907 nous montre que l'usine n'était plus compétitive :

ACTIFS : Francs
Immeubles, matériel fixe, machines 454.970,92
Matériel roulant, outillage, mobilier 15.208,80
Approvisionnement 6.755,25
Portefeuille, titres 2.400
Marchandises en magasin 120
Banque 33.433,59
Caisse 49,59
Profits et pertes 175.462.58
TOTAL 1.188.300,67
PASSIF: Francs
Capital, actions 860.000
Amortissements 248.085,28
Réserve 61.215,39
Prévisions 19.000
TOTAL 1.118.300,67

Suite à ces résultats les administrateurs décident la dissolution de la société qui eut lieu le 25 juin 1907 devant le notaire de Feluy, Maître Camille Delhaye, en présence des principaux actionnaires d'alors :

Albert Puissant, Propriétaire à Merbes-le-Château, Président 150 actions
Gustave Boë1, propriétaire, Sénateur de Bruxelles 203 actions
Ernest Delhasse, avocat de Bruxelles 20 actions
Maria Puissant, veuve Edouard Dufour, propriétaire de Bruxelles 187 actions
Emile Vanden Dooren, propriétaire de Bruxelles 110 actions
Henri Vanden Dooren, industriel (fils Emile) 45 actions
Jules Dechamps, ingénieur à Merbes-le-Château l0 actions
Fernand Colman, propriétaire de Bruxelles 50 actions
Louis Boë1, ingénieur de Bruxelles l0 actions
Comte Maurice de Looz-Corswaerem, propriétaire de Gingekom 10 actions

Les actionnaires décident que les liquidateurs seront Henri Vanden Dooren et Ernest Delhasse.
Ceux-ci vendront l'usine et ses installations à un industriel de Frameries, Charlemagne Quenon qui décide de changer la destination de l'usine.

2°. LA CARTONNERIE













Léopold Charlemagne Quenon, propriétaire et industriel (né à La Bouverie le 24-11-1858) demeurait à Frameries où il dirigeait une usine de cuirs et peausseries, il acheta la sucrerie de Feluy en 1910. Il fit remettre l'usine en état afin de créer une cartonnerie. L'usine était prête à la veille du 1er conflit mondial qui vint perturber la bonne marche des affaires.
Malheureusement les allemands ravagèrent l'usine, ils prirent tous les objets en cuivre, les matières premières et les cuirs servant aux transmissions. Pendant la durée de la guerre, ils firent un dépôt de munitions dans les locaux et parquèrent des centaines de prisonniers anglais dans les locaux.

Ce n'est qu'en l92I que la cartonnerie connut sa première mise en route.

Le 2 mai 1921, Monsieur Quenon créa alors une société en nom collectif sous la raison sociale CHARLEMAGNE QUENON ET CIE devant le notaire Ed. Lejeune de Frameries.

Y étaient présents :
- Léopold Charlemagne père.
- Charlemagne Remacle Florent Quenon, fils, directeur de l'Usine de Frameries.
- Gérard Renaud Quenon, directeur d'industrie à Frameries (né à Frameries, le 20-8-1894).
- Abel Pierre Quenon, directeur d'industrie à Frameries.

La société à pour objet :
a) la fabrication, l'industrie et le commerce de la chaussure, notamment la préparation, la fabrication et le commerce des cuirs et peausseries, comprenant l'établissement industriel sis à Frameries, 30 rue Jean Devolders.
b) la fabrication, l'industrie et le commerce des papiers, cartons et cartonnages, comprenant l'établissement industriel sis à Feluy, chemin d'Arquennes à Feluy.
Le siège social est établi à Frameries. La durée de la société est fixée à 30 ans.

Cette cartonnerie possédait une machine continue pour la fabrication des cartons qui fut installée par les usines Chantraine de Nivelles. L'eau nécessaire à la fabrication était tirée du trou Lacroix. Les matières premières arrivaient par bateau ou par train. Trois équipes d'ouvriers travaillaient à la confection de carton paille, de carton brut et de carton avec encollage de papier sur une ou deux faces en différents formats qui partaient vers tous les coins de la Belgique et en France pour la fabrication de boîte, 20 tonnes de carton sortaient journellement.
L'outillage comprenait des cuves de préparations de la pâte afin de la mélanger à la chaux, des meules, des instruments de raffinage en piles, des cuviers de mélange, la machine de confection du papier avec feutres et tamis, des séchoirs on rognait et mettait alors le carton en dimension et pesait les cartons en emballages de 25 kg.
En 1926, Gérard Quenon achète la carrière Saint-Georges à Feluy afin de pouvoir y prendre les eaux pour alimenter la cartonnerie. Du niveau du chemin au fond de la carrière, il y a 38 mètres de profondeur. Un puits artésien fut foré. En atteignant 78 mètres de profondeur, on toucha la nappe phréatique. Une colonne d'eau de 4,5 mètres en jaillit.

Messieurs Quenon ne faisaient que superviser le fonctionnement de l'usine, Félicien Cartiaux (né à Flawinnes le 24-10-1883) qui était chef de cour dès 1914, devint chef de fabrication en l92l et était en fait le chef principal dirigeant de l'usine. Il arrêta ses activités en 1956 et fut alors remplacé par Monsieur Crinckx qui était coloriste.

L'usine prit de l'extension, on y adjoint une papeterie. Elle prend ainsi le nom de

CARTONNERIE ET PAPETERIE DE FELUY-ARQUENNES.

Le nouvel atelier fut bâti en 1930/1932, il contenait une machine continue pour la fabrication de papier de toutes qualités allant du blanc au noir, pour l'emballage, pour l'impression et l'écriture à partir de 42 jusqu'à 250 m². Cette dernière commença à tourner à partir de 1932. La pâte de bois provenait des pays scandinaves. La matière première arrivait à la préparation dans différentes machines (telles que défibreuse, meules aux piles) pour un premier raffinage. De là, elle passait dans un mélangeur puis dans un mélangeur et ensuite dans des raffineurs coniques, de cette opération elle se dirigeait vers trois épurateurs pour arriver à la fabrication du papier.














Celui-ci se faisait avec une machins où la pâte se déposait sur la toile. Il y avait alors des rouleaux égouteurs pour la belle qualité depapier. Le papier continue dans la sécherie, au finissage et au bobinage. La transformation du papier terminait les phases de fabrication dans une salle où différents rouleaux et des feuilles de tous formats étaient ensuite emballés. Le papier n'était en principe pas stocké, il partait directement de l'usine, souvent vers la France.
L'usine arrêta pendant la seconde guerre mondiale du 15-12-194l à mai 1945. Vers 1955, une transformation substantielle eut lieu sur la machine continue, on installa un ramasse pâte qui remettait directement l'excédent de pâte revenant dans le cuvier. De trois à quatre tonnes de papier par jour fabriqué par deux équipes, on passa à 15 tonnes de papier par jour avec 3 équipes de travailleurs.
Toutes ces machines étaient alimentées par 4 chaudières à vapeur timbrées à 10 kg auxquelles on ajouta une machine à vapeur timbrée à 30 kg, vers 1932. Les machines étaient actionnées par des transmissions.
L'usine ne connut que des mouvements sociaux sporadiques. On fit grève en août 1950 lors de l'affaire royale et en 1956, 8 jours de grèves de protestations eurent lieu car le patron voulait garder un contremaître coloriste contre l'avis des ouvriers qui étaient en conflit avec ce dernier.
La mauvaise gestion de l'usine et de plus en plus de créditeurs furent les causes de la fermeture de la fabrique malgré un carnet de commande bien fourni.
L'usine ferma ses portes en février 1958 envoyant 250 ouvriers au chômage. Les machines furent vendues à l'usine Intermills à Malmédy. Les curateurs introduisirent une demande de pouvoir utiliser la carrière Saint-Georges afin d'y déverser des scories.
Ils louèrent l'usine à un négociant feluysien.













3° LA CONFITURERIE

Alfred Albert Joseph Ladrière, négociant (né à Feluy le 24-04-1898) exerçait son métier au 28 de la Grand-rue de Feluy, il avait épousé Alphonsine Mattagne (née à Wavre en 1903).
Ils louèrent l'ancienne cartonnerie-papeterie afin de créer une confiturerie. Ils se donnèrent comme enseigne la marque LAMA (Ladrière-Mattagne et fils).
Ils fabriquaient des corins de prunes, abricots pommes et faisaient des fruits en sirop. De plus, ils torréfiaient du café. L'usine servait aussi de dépôt pour des vins et porto qu'ils importaient. Plus tard une autre partie des bâtiments servit au stockage de denrées coloniales.

Alphonsine Mattagne décéda le 19 janvier 1965. Alfred Ladrière habitait encore le 39 de la Chaussée de Nivelles en 1972. On le qualifie d'importateur, il vit avec son fils Guy (né à Feluy le l8/08/1927), directeur commercial, et son épouse Colette Vivier. C'est à cette époque que les bâtiments servent d'entrepôts pour différentes firmes (pièces d'autos, meubles, etc.).

En 1980, les bâtiments sont abandonnés. La curatelle de la cartonnerie vendra les terrains et on abattit l'usine en 1993, Un complexe de maisons à bon marché a été construit à l’emplacement de l’usine.

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