dimanche 25 février 2024

ÉCHOS DE LA « GUERRE SCOLAIRE » Â FELUY EN 1881

 

Échos de la « guerre scolaire »   Feluy en 1881

                                                                                                                                             Alain graux

 

En 1881, la Chambre des représentants institua une Commission d'enquête scolaire, elle recueillit le témoignage des autorités communales et des enseignants, et parents d’élèves, par canton[1].

Le 17 décembre 1881, pour le canton de Seneffe, les représentants Victor Lucq[2], Philippe Mondez[3] et Xavier Olin[4], ont procédé au local de la Justice de paix, à une audience publique, à l’audition des témoins cités à la requête du président, et pour la commune de Feluy les témoins suivants :

 

Pennart Oscar, 39 ans, bourgmestre de Feluy, prête serment et déclare :

La commune de Feluy a aussi été sous le coup de menées cléricales et des mesures intempestives du clergé. Lors de la promulgation de la loi[5], je venais d’être nommé bourgmestre.

Je me rendis immédiatement chez M. le curé qui avait toujours été vénéré de tous. Cependant il me reçut très peu gracieusement et, à mon grand regret, notre entretien devint très peu amical.

Je dus alors intervenir pour le placement des élèves à l’église.

Les bancs qui servaient anciennement à l’école des garçons étaient pris par les élèves de l’école catholique ; quant aux nôtres, ils pouvaient se placer comme ils pouvaient. Je dus aller moi-même placer les enfants sur les chaises, le long de la grande nef. Quant aux enfants des écoles religieuses, sur l’ordre du curé ils ne se dérangèrent pas pour faire place aux nôtres.

Je ne parlerai pas des petites vexations ni des propos tenus aux enfants eux-mêmes : enfants du diable, etc. ;  ce fut chez nous comme ailleurs.

A confesse aussi, on refusait l’absolution à tous ceux qui de près ou de loin s’occupaient d’écoles.

Sur 32 de nos élèves en âge de première communion, 2 seulement la firent. Les autres cependant étaient suffisamment instruits.

Malgré les sermons violents, malgré tout, nous avons laissé faire, et aujourd’hui je dois dire que la fougue semble être diminuée.

 


Denis François[6],  tailleur de pierre à Feluy, prête serment et déclare :

Je suis veuf et j’ai cinq enfants.

Le curé a dit à mes enfants qu’ils devaient aller à l’école catholique pour faire leur première communion.

Après cela, mon fils ne voulait plus aller à l’école ; heureusement il y est retourné après 6 à 7 semaines, mais pour arriver à ce résultat j’ai eu beaucoup de peine. Pour faire sa première communion, il a du aller au catéchisme pendant trois ans.

 


Vanden dooren Emile[7], 54 ans, industriel à Feluy, prête serment et déclare :

Je n’ai aucun fait personnel à signaler, je dois cependant dire qu’en général, à Feluy, la lutte a été très vive, de part et d’autre d’ailleurs, fortement attaqués, nous nous sommes vivement défendus.

Malheureusement le clergé s’est mêlé à cette lutte, qui sans cela serait restée plus digne[8].

Un jour, à la messe, j’ai entendu le clergé dire la fameuse prière, avec une énergie, avec une haine inusitée.

Cela m’a profondément ému, d’autant plus que cela se disait en présence de notre digne instituteur. Et j’entendais après cela les De profundis ou les autres prières qui devaient sauver les âmes, prononcées en bredouillant, de façon qu’on ne les comprenne pas. J’en ai été vivement ému, et depuis lors je n’ai plus su retourner à l’église.

J’ai entendu un prêtre étranger traiter de crapuleux les libéraux, et notre digne curé, qui jusqu’alors avait été un modèle, ne protestait pas.

Le vicaire de Feluy, aujourd’hui curé d’Arquennes, traitait dans ses sermons les libéraux de racoleurs du diable. Dans un autre sermon qui m’a été rapporté, le même vicaire disait : « qui dit libéral dit trompeur et voleur ».

C’est donc le clergé qui a apporté dans cette lutte l’acrimonie qui la distingue.

 

Thiéry Théodore, 32 ans, instituteur à Feluy, prête serment et déclare :

Les écoles officielles de Feluy ont eu à supporter une lutte très ardente de la part du clergé et des catholiques influents.

Sermons violents, refus d’absolution aux parents et aux élèves, avec une distinction cependant, aux élèves on demandait ce qu’ils feraient s’ils étaient libres.

Un de mes élèves répondit que dans ce cas il fréquenterait encore mon école, celui-là a été renvoyé sur le champ, sans absolution.

Les membres du clergé ont essayé de trouver les enfants seuls à la maison paternelle, et alors ils les effrayaient en leur parlant de l’enfer, etc.

Je citerai le cas du petit Denis qui avait été jusque là assidu à mon école. Mais le curé la lui rendit odieuse, que cet enfant n’osait plus rentrer chez moi. Son père et moi avons eu toutes les peines du monde à le ramener.

Le curé a été aussi chez M. et Mme Deladrière pour les engager à me retirer leurs enfants. N’y parvenant pas, le curé fit intervenir le grand-père de Mme Deladrière, un vieillard de près de 90 ans. On comprenait bien dans quel sens il faisait cette menace. J’ai appris qu’après la visite du curé, ce vieillard se mit à pleurer.

Avant la loi, j’avais 151 élèves maximum, aujourd’hui j’en ai 142. Sur 22 de mes élèves en âge de faire leur première communion, il n’y en a que deux qui l’ont faite.

Mes élèves étaient cependant assez instruits, et ils étaient aussi âgés que ceux qui l’ont faite l’année précédente. Des parents sont allés trouver le curé à cette occasion.

Il parait que le curé et le vicaire ne m’ont pas ménagé, me traitant d’hypocrite, disant que mon école était mauvaise, que mes élèves deviendraient de mauvais sujets et qu’il était préférable de les laisser courir que de les mettre à mon école.

Avant la loi, le curé était enchanté de mon enseignement.

Au retour de l’école, mes élèves étaient souvent accostés, soit par un membre du clergé, soit par un catholique zélé.

J’ai appris un jour que le curé avait refusé de donner la bénédiction à certains élèves de l’école communale des filles en disant qu’il ne donnait pas de bénédiction aux enfants du diable.

Plusieurs enfants ont quitté mon école sans le consentement de leurs parents et sur des promesses qui leurs étaient faites. Ces enfants sont revenus.

Je puis citer parmi les plus zélés catholiques dans cette question, M. Désiré Vray

 

Declercq J.[9], 59 ans, tailleur à Feluy, prête serment et déclare :

Mon fils fréquentait le petit catéchisme, mais le vicaire l’a refusé au grand catéchisme. Mon fils a continué de fréquenter le petit catéchisme de M. le curé.

Cependant il n’a pas fait sa première communion. Il a maintenant 13 ans, et il ne la fera pas tant que le vicaire Bourgeois restera à Feluy.

 

 

Vangeleukel Charles[10], 75 ans, curé de Feluy, prête serment et déclare :

Je n’ai pas dit à M. le bourgmestre que les enfants des écoles communales devaient quitter leur place à l’église, c’est lui qui m’a proposé de changer ces places, ou plutôt il les a changées lui-même.

Je n’ai été que dans une seule maison pour parler d’école, c’est chez M. Deladrière. Je ne connais pas le petit Denis ni son père.

Le témoin Denis, rappelé, confirme expressément ce qu’il a dit. M. le curé continue. Il dit que M. Pennart est bien parvenu, lui, à reprendre 125 élèves en un jour.



[1] Chambre des Représentants. Commission d’enquête scolaire. Procès verbaux, tome 1, Bruxelles, 1881

[2] Lucq Victor Charles, ° Chimay 11-2-1829,  Marcinelle 26-1-1887, avocat, représentant libéral de Charleroi

[3] Mondez Philippe-Joseph, ° Frasnes-lez-Gosselies 24-12-1834, † Rêves 9-3-1890, représentant libéral de Charleroi

[4] Olin Xavier-Victor, ° Bruxelles 14-12-1836, †  Saint-Gilles 30-1-1899, juriste, industriel, représentant libéral de Nivelles.

[5] La loi Van Humbeeck, votée le 1er juillet 1879 stipule que si chaque commune doit, à l’instar de la première loi organique de 1842, organiser au moins une école primaire laïque et neutre, elle ne doit cependant plus dispenser de cours de religion mais bien un cours de morale laïque. Exception est faite si les parents le demandent expressément. Dans ce cas, un ministre du culte peut venir dispenser un cours de religion au sein de l’école dans un local mis à disposition, en dehors de l’horaire normal des cours. Les instituteurs doivent être diplômés des écoles normales officielles, dont le cours de religion est également exclu. Enfin, les collectivités locales (provinces et communes) ne peuvent plus adopter ni subsidier les écoles du réseau catholique.

[6] Denis François, ° Feluy 28-1-1845, y 12-4-1907, x Feluy 2-5-1866, Laforge Julie-Catherine, ° Arquennes 22-1-1841, † Feluy 24-10-1876, servante

[7] Vanden Dooren Emile-Henri-Léopold, ° Frasne-lez-Buissenal 18-5-1826, Bruxelles 20-5-1909, x de Lalieux Rose-Aye, ° Feluy 26-3-1829

[8] L’épiscopat belge mit en œuvre une série de sanctions spirituelles à l’égard des parents et acteurs scolaires. Les évêques publièrent un mandement le 7 décembre 1878 qui refusait les sacrements aux instituteurs des écoles officielles et aux parents qui y envoient leurs enfants. La sanction porte aussi sur les élèves et aux parents d'élèves des écoles normales officielles. Selon l’épiscopat l’école neutre est qualifiée d’« antireligieuse ».

[9] Declercq François-Joseph, ° Feluy 3-6-1822, † Braine-le-Comte  4-6-1899, x Dautzemberg Marie-Thérèse,° Heerlem 23-11-1830

[10] Vangeleukem Charles-Maximilien, ° Ecaussinnes d’Enghien 1803

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